DOMINIC RUEL
Pendant longtemps, depuis même la grotte de Lascaux, la peinture ne servait qu’à une chose : représenter le réel, ce qu’on voit. Les techniques évoluent, les outils et les matériaux changent, mais les peintres (appelons-les comme ça tout de suite) cherchent à montrer ce qui est : un animal, un chasseur ou un paysage, sur de la pierre, des peaux ou des roseaux tissés, que sais-je?
Puis, les tableaux, bien souvent, rappellent aussi les grandes scènes bibliques, tantôt la naissance, la mort ou la résurrection du Christ, tantôt la souffrance de tel martyr, la Vierge, Moïse et compagnie. À la Renaissance, les thèmes se diversifient. On commence à vouloir montrer l’homme, le glorifier, en quelque sorte. À l’époque, on est à fond dans l’humanisme et les philosophes font des misères à l’Église qui, on le sait, n’hésite pas à brûler vif des gens. Peindre l’homme, donc. On pense tout de suite à La Joconde de Léonard de Vinci, à La Jeune Fille à la perle de Vermeer. Les nobles et les bourgeois en profitent pour immortaliser leur formidable quotidien. On montre la richesse des puissants. Les peintres archivent aussi, disons cela, les grands événements d’une époque. Ça fait d’abord un souvenir. Le Sacre de Napoléon, colossal tableau par David, en est un bel exemple. L’empereur connaît les codes de la communication, il aurait eu un merveilleux compte Instagram avec des égoportraits (selfies) avec la couronne, à sa gloire bien sûr.
Le 19e siècle s’installe, avec sa révolution industrielle et le culte de la vitesse. Apparaissent les machines et aussi la photographie. Imaginez la tête des peintres : on vient de trouver le moyen de faire des images réalistes en des temps assez rapides (c’est relatif, je sais, les appareils ne sont pas des téléphones iPhone, mais quand même). Les photographes, bien souvent des peintres qui ont changé de profession (pas fous, les gars!), s’emparent du marché. La photo produit mieux que ce que le peintre peut faire : reproduire encore plus fidèlement la réalité, on y revient. La première photographie en serait une du pape Pie VII, en 1822.
Les peintres, après un moment de découragement, on les comprend, doivent alors peindre autre chose et travailler différemment, ce qui assurera leur avenir, il faut bien vivre! Il y aura donc un travail sur la forme, sur les méthodes et les styles. On effacera le sujet et le réel pour jouer avec la lumière et ses effets. Monet peint Impression, soleil levant en 1872 : aucun photographe ne peut reproduire cela. Arrivent ensuite Matisse, qui repense la couleur, et Picasso, le plus grand, qui repense la forme, avec ses Demoiselles d’Avignon. Naissent le fauvisme, le cubisme, l’expressionnisme et le futurisme. Puis, l’art contemporain, dont on peut critiquer aujourd’hui certaines dérives, j’en conviens.
La photographie prend une même tangente que la peinture, après Robert Doisneau, parmi tant d’autres. Confrontée à la vidéo, à l’intelligence artificielle, aux cellulaires qui font de tout le monde des photographes, elle s’est réinventée et elle le fait encore, aidée d’outils informatiques et technologiques. Bien souvent maintenant, la couleur et la forme prennent la place du sujet pour, comme l’ont fait les grands peintres du 20e siècle, lancer un défi à ceux qui regardent attentivement.