Ce sont les mots du philosophe Raymond Aron. Les aurions-nous oubliés? Pensions-nous que nous n’aurions plus à ressentir ce sentiment d’impuissance face aux événements dramatiques, surtout depuis deux ans? Croyions-nous que l’histoire était terminée?

La fin de l’histoire. C’était la grande idée de Francis Fukuyama. Avec l’effondrement de l’URSS, la démocratie libérale avait triomphé, la guerre devenait de plus en plus improbable et le marché n’avait plus d’entraves. Samuel Huntington s’était opposé à lui, avec son choc des civilisations. Hannah Arendt aussi avait sa version de la fin de l’histoire : notre époque deviendrait anhistorique en voulant effacer les traditions et les ancrages pour devenir une ère sans passé et sans horizon.

Revenons à Fukuyama. Les personnes qui ont vécu le début de leur vie d’adulte dans les années 1990 pouvaient le croire : le Mur était tombé, la menace d’une guerre mondiale effacée à jamais, les changements climatiques, c’était la peur de quelques granos, Internet arrivait et la musique était bonne! Les années folles, quoi, comme après la Première Guerre mondiale. Puis sont survenus le 11 Septembre et d’autres attentats, les guerres au Moyen-Orient, les révolutions arabes, la pandémie, trois crises économiques et la guerre en Ukraine. Depuis 20 ans, l’histoire s’est remise en marche, avec ce qu’elle a de tragique et de douloureux. Nous l’avions oublié. Pourquoi? Notre prospérité, notre modernisme, nos progrès scientifiques, l’absence de grande guerre depuis 75 ans, une conception trop sereine du monde qui n’a pas vu venir les drames? Les idées de tout pouvoir arranger et du risque zéro? La perte du goût du risque et du sacré, notre fuite de la mort? Peu importe, finalement, mais nous avons été incapables de voir venir le terrorisme, les guerres, les crises pandémique et climatique et, au fond, la violence et les sacrifices. Le président Macron le résume bien et s’en réjouit : « Ce qui me rend optimiste, c’est que l’Histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. Ce vieux continent de petits bourgeois se sentant à l’abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure où le tragique s’invite. »

L’histoire n’est pas une ligne droite, il n’y a pas de sens, ni de direction, ni de destination. Il n’y aura jamais de Grand Soir. Le réel est tragique, il faut s’y confronter. L’angélisme, ce désir de perfection par refus des réalités, justement, nous berçait-il dans l’illusion? Il est difficile de croire que le monde s’unira sous une même bannière, soit-elle démocrate, chrétienne ou marxiste, dans une paix perpétuelle. Il y aura toujours des nations, des civilisations, des religions, des idéologies.

Face au tragique, notre monde n’est pas condamné au désespoir et à l’absurde, cette aberrante idée de répéter pour toujours les mêmes gestes et les mêmes actions, comme Sisyphe. Albert Camus disait que l’homme est doué de raison, de volonté de comprendre, d’ordonner, d’unifier… ainsi donc, d’être capable d’empêcher la fatalité.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.