On ne s’attaque pas à l’œuvre de Richard Desjardins sans savoir que l’on se frotte non pas à un monument froid, immobile et figé, mais à un ensemble d’univers vivants. C’est le défi audacieux que s’est donné Steve Jolin de 117 Records, une division de Disques 7ième Ciel, qui lancera ce printemps l’album Hommage à Richard Desjardins.
 
«C’est après avoir entendu une entrevue de Richard Desjardins avec Félix B. Desfossés, sur les ondes de Radio-Canada, que j’ai eu cette idée. J’y avais appris plein de choses», a expliqué Steve Jolin, qui caressait depuis le désir de «créer une occasion» pour reconnaitre l’œuvre de Desjardins, mais aussi de faire rayonner son berceau et ses terres que sont Rouyn-Noranda et l’Abitibi. Il s’est alors adjoint les services de Philippe B, de Rouyn-Noranda, qui contribue à cet album et qui en assure aussi la réalisation.
 
Le concept de 117 Records a ainsi émergé à l’été 2016 et rapidement, le pari a pris des proportions ambitieuses. Pour reproduire les notes et les accents de Desjardins et de sa forêt dense de sons et de parfums, 14 artistes ont été réunis.
 
«Nous voulions aller dans la scène émergente, qui est la véritable descendance de Desjardins», résume Steve Jolin. Une descendance dans l’esprit, dans les lettres d’engagement et dans l’adoption d’un style non conformiste et d’un parcours, dirions-nous, atypique. Cet ensemble de voix parfois suaves, parfois plus ébréchées et rauques, confère à l’album de multiples visages qui permettent de s’approcher des univers qui ont traversé les époques et les couleurs du répertoire de Richard Desjardins. La guitare, compagne des grandes pièces du chanteur, occupe beaucoup d’espace et l’appropriation qui en est faite par les artistes ajoute une profondeur supplémentaire aux textes revisités.
 
C’est ainsi qu’ont été rassemblés Avec pas d’casque, Safia Nolin, Matiu, Les sœurs Boulay, Bernard Adamus, Yann Perreau, Émile Bilodeau, Philippe B, Fred Fortin, Koriass, Keith Kouna, Saratoga, Klô Pelgag et Philippe Brach.
 
«Nous voulions des artistes qui n’étaient pas connus pour leur contenu commercial, mais des artistes plus à gauche, comme Desjardins», précise M. Jolin, qui confie avoir rencontré le chanteur à plusieurs reprises.
 
«C’est le plus grand artiste chanteur de notre région et un des plus grands poètes du Québec. C’est quelqu’un que j’ai toujours admiré. Son sens de l’engagement en fait quelqu’un de très… mythique», ajoute-t-il.
 

Celui qui est connu sous le nom d’artiste Anodajay s’était approché de l’œuvre de Desjardins en 2006 avec son album Septentrion. On pouvait y retrouver les mélodies de la pièce Les Yankees en trame de sa chanson L’homme de bois :

Si l’homme était l’arbre et qu’on lui sciait les chevilles

S’il tombait en pleine face et qu’on le découpait en billes

Si on lui arrachait la peau, comme on arrache une écorce

Si à l’aide d’un canif, on lui grave un nom sur le torse

Si on lui cassait les bras, comme on ose casser ses branches

Si on le couchait sur le plat et qu’on en faisait des planches.

D’abord étiquette hip-hop, Disques 7ième Ciel a étendu sa portée en lançant en 2014la division 117 Records pour produire des artistes qui se réclament d’autres genres musicaux que le rap. Ce sera le cas de cet hommage, qui n’est aucunement une relecture hip-hop des classiques de Desjardins, mais au contraire « la plus grosse sortie » du jeune label depuis sa création.

Desjardins : avisé, mais dans l’attente

« Je ne me serais pas autorisé à faire ce type de projet sans son approbation. Il a accepté, mais il n’en sait pas beaucoup, mentionne le producteur. Je lui ai dit que je ne voulais rien lui dévoiler, pour garder la surprise. »

Et il semble que Desjardins ait fait une forme d’acte de foi. De Montpellier, en France, où il se trouve, le poète a en quelque sorte donné carte blanche à ses « héritiers », sans même connaitre les titres qui ont été retenus.

Il faut dire toutefois que les artistes qui prennent part à cet hommage sont, chacun à leur façon, un peu complices de Desjardins. Le cinéaste Dominic Leclerc, de Rouyn-Noranda, a d’ailleurs réalisé un projet parallèle en déclinant, pour chaque chanson, des capsules vidéos. On y découvre une autre dimension de la relation entretenue par les interprètes avec l’œuvre du poète.

« Desjardins, son premier album, personne n’en voulait. Il l’a monté lui-même avec ses supporteurs et je me retrouve un peu dans ça et c’est aussi un peu le lot des artistes que nous avons réunis. Des gens qui ont pris le même sentier, le même parcours. Des artistes parfois issus de régions, des fois plus à gauche, mais toujours à la rencontre de leur public », explique Nolin.

Ainsi, sur cet album hommage cohabitent des versions plus convenues, dans la lignée de la pièce originale et d’autres où on s’éloigne. Les voix féminines, par exemple, donnent une autre couleur aux chansons en insufflant une autre forme de poésie.

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Premier extrait: “Tu m’aimes-tu?”, une reprise de Fred Fortin.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.