L’automne prochain, l’école de danse PRELV de Rouyn-Noranda franchira le cap des 50 ans d’existence et à la barre, tant comme enseignante qu’à la direction, Lynn Vaillancourt assure la continuité sans compter ni les heures travaillées, ni le temps qui passe, ni les années.

« Je ne vois pas le temps passer. Les âges, même le mien, sont une notion floue. Je ne vois pas les âges. Je ne vois pas les jours. Je ne vois pas le temps. J’habite le moment », explique simplement Lynn Vaillancourt.

Dans sa maison du quartier d’Alembert de Rouyn-Noranda, où les notes de bleu sont omniprésentes dans le décor et les objets, la grande dame, svelte et calme, semble en effet échapper au passage du temps qui, suspendu, suit son cours sans influencer le sien.

« J’ai enseigné à la grand-mère d’une élève, elle était du premier spectacle en 1971 », confie-t-elle incrédule. En 2020, son école PRELV atteindra néanmoins le demi-siècle et ironiquement, ce n’est pas elle qui, en 1970, a décidé de lancer le projet éducatif sans but lucratif à Rouyn-Noranda. Même si elle porte cette école depuis toutes ces décennies, elle répète qu’elle n’a rien décidé. « Je ne me lance pas, on m’attrape. Je n’ai pas décidé de lancer une école de danse. La seule chose que j’avais décidée très tôt dans ma vie, c’était de vouloir enseigner », résume-t-elle.

Tout a commencé dans la rue près de chez elle, à Rouyn-Noranda. « Les enfants du quartier, je les ai entraînés dans mes jeux, dans les bois, je leur montrais à chanter. À 13 ans, j’avais inventé le Club de la rue Vanasse. Mon père avait même fait un espace dans le garage pour nous donner un endroit à l’abri », raconte-t-elle.

Ce penchant naturel pour l’animation et l’enseignement s’est poursuivi au secondaire, à l’école Immaculée-Conception. « Il y avait une religieuse qui donnait des cours de folklore. Lorsqu’est venu pour elle le temps de partir pour une mission en Afrique, elle m’a demandé de prendre la relève. Je l’ai fait, et au folklore j’ai ajouté d’autres danses que j’avais inventées », se souvient-elle.

Quelques années plus tard, des parents d’adolescentes lui ont demandé s’il lui était possible de continuer ces petits ateliers. Il en coûtait alors à peine 25 cents par cours. L’argent recueilli a permis d’acheter un premier tourne-disque, que Lynn Vaillancourt a conservé et qui fonctionne encore à ce jour.

« Il faut savoir qu’à l’époque, il n’y avait que peu d’activités récréatives pour les jeunes, mis à part le hockey et le baseball. » Elle ajoute que c’est de cette invitation qu’est tranquillement né ce qui allait devenir l’école PRELV qui allie ballet, jazz, danse contemporaine, danse créative et chant.

PLUS QU’UNE ÉCOLE, UN REFUGE

 

« Le physique n’entre pas dans les critères. L’école sait accueillir chaque enfant. C’est un enseignement personnalisé, fondé sur accueillir et laisser être. Ce sont les enfants qui m’enseignent. Un professeur est une armoire. Ils viennent y puiser ce dont ils ont besoin », image Lynn Vaillancourt.

Au fil des ans, l’école a accueilli une élève atteinte de surdité, une autre lourdement handicapée, une qui avait une prothèse, certains touchés par l’autisme. Pour Lynn Vaillancourt, danser est un langage et une manière de communiquer.

« Danser c’est se dénuder devant le monde. C’est toi que tu extériorises. En apprenant des techniques, on apprend aussi le monde », avance la directrice qui cherche à se renouveler, à étendre ses références tant musicales qu’artistiques. Pilates, yoga, danses africaines, sa curiosité est sans borne.

HABITÉE PAR LA MAGIE

 

L’école PRELV compte quatre groupes d’âge. Les Pieds-Légers (12-20 ans), les Petits-Rats (9-11 ans), les Elfes (5-8 ans) et les Pillywiggins (4 ans). « Les Pillywiggins, ce sont de toutes petites fées qui naissent dans des fleurs », explique Lynn Vaillancourt dans un naturel assumé.

En plus de l’école, des camps d’été se tiennent chez elle. Il s’agit d’une manière de s’apprivoiser, d’apprendre, mais aussi d’être à l’écoute de ce qui vit autour par des balades en forêt, l’observation des oiseaux et de la nature.

Cet esprit de fantaisie est profondément ancré en Lynn Vaillancourt, comme il l’était sans doute chez sa mère, récemment décédée à l’âge de 94 ans et qui habitait la maison voisine de la sienne. « Ma mère était une artiste. Elle a peint jusqu’à la fin de sa vie, assise à la fenêtre. Je me suis demandé ce qu’elle regardait, ce à quoi elle pensait. Ma mère m’a toujours profondément encouragée. Elle posait des questions sur les costumes, voulait entendre la musique, comprendre le sens. Je ne me suis jamais sentie seule dans cette aventure », confie-t-elle.

Lynn Vaillancourt fait son chemin avec une approche singulière et avec audace. Si le chemin n’existe pas, elle fait en sorte de le créer. Pour amener ses élèves en visite à l’École supérieure de ballet du Québec, à Montréal, elle n’hésitera pas non plus à obtenir son permis pour conduire l’autobus qui fait le trajet.

En 2018, son dévouement et son implication auprès de milliers de jeunes qui ont franchi ses portes sont récompensés avec la Médaille d’argent du lieutenant-gouverneur. Elle ne s’en vante pas. Pour elle, la vie continue.

« J’ai le goût encore, et tant que la santé sera là, assure-t-elle, le mouvement sera perpétué. » Et le mouvement a aussi su se transmettre. « Ma fille a dansé à l’école… j’ai une de mes petites-filles qui est inscrite et une autre qui s’en vient en septembre. C’est très particulier », dit-elle simplement.

Le temps n’a pas d’emprise sur Lynn Vaillancourt, seul le mouvement et habiter le moment comptent.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.