« Quand la vidéo a commencé à circuler, ça m’a frappée. Il n’y a pas grand monde qui a dormi cette nuit-là. J’ai voulu faire quelque chose. Messenger m’a ouvert la porte des membres de la communauté. On est tissés serrés, on a tous quelqu’un en commun », se rappelle Michèle Audette au sujet de Joyce Échaquan, cette Attikamek décédée le 28 septembre 2020 à l’hôpital de Joliette.

Elle tenait à faire quelque chose, mais son rôle n’en est pas un de premier plan. « Je suis là comme une femme pleine d’amour. Je me sens capable de soutenir », mentionne-t-elle.

Au début des audiences le 13 mai, elle était sur place à Trois-Rivières et avait aussi assisté à la préparation de la famille qui devait témoigner. Les preuves sont accablantes. Tout est lourd.« J’essaie quant à moi de rester normale dans quelque chose qui est tout à fait anormal », résume-t-elle pour expliquer qu’il faut rester fort pour soutenir celles et ceux qui devront prendre la parole. Son espoir réside dans le fait que ces familles ont des voix.

La réponse au sort réservé à Joyce Échaquan a ébranlé les autorités en haut lieu et rapidement mené à la mise en place d’une enquête interne, puis d’une enquête publique nationale. Pour celle qui a présidé l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ce drame l’a replongé dans la douleur.

« Encore une fois, pour la famille et les proches, il faudra prouver, débattre, expliquer l’inexplicable. Ce n’est pas à une famille ou à une nation de porter ça quand on voit que c’est un système qui est en cause. C’est là où je sens monter l’indignation », confie-t-elle.

« Quand je me sens comme un petit hérisson, je dis parfois à mes proches de me laisser le temps de “processer dans mon cœur” pour ensuite continuer. C’est important. Tout comme le câlin est un mécanisme de guérison incroyable aussi… »

L’enquête menée par la coroner Géhane Kamel pourrait bien marquer un tournant selon Michèle Audette. Après des décennies de dénonciation, le moment est venu d’après elle d’opérer le changement. « Cette fois, on parle d’impératifs juridiques ici, ce ne sera pas que des recommandations. C’est en quelque sorte le système qui répond au système, avec le même langage. Je crois que ça va obliger nos institutions à faire le virage nécessaire. »

DE CŒUR ET DE ROC

Michèle Audette reconnaît néanmoins se sentir encore ébranlée, bouleversée et avoir besoin de s’accorder des moments de pause pour prendre le temps de respirer.« Mon conjoint m’a déjà dit, “Michèle, tu es en train de tomber”, alors je fais aussi attention à moi dans tout ça. Je prends le temps de méditer, de rire aussi pour ne pas sombrer. »

Ça lui est déjà arrivé, plus d’une fois d’ailleurs, de se sentir presque avalée par l’horreur, mais lorsqu’on tombe une fois, on comprend que la seule manière de ne pas sombrer de nouveau est de continuer d’avancer. Néanmoins, avec l’exposition à la peine et aux drames portés par tant de gens, elle dit que parfois, c’est comme s’il « fallait avoir été vacciné à ça pour être capable d’entendre certains témoignages ».

Michèle Audette a elle-même traversé un sentier houleux, elle porte en elle les cicatrices de violences passées, mais elle se sent « mocassins libres » et forte pour affronter, défendre et porter les voix des siennes et des siens. Plus jamais la honte. Plus jamais le silence non plus.

Aujourd’hui, après avoir été à la tête de grandes organisations comme présidente de l’Association des femmes autochtones du Québec, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, sous-ministre associée au Secrétariat à la condition féminine, elle est, à l’Université Laval, adjointe au vice-recteur aux études et aux affaires étudiantes et conseillère principale à la réconciliation et à l’éducation autochtone.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.