DOMINIC RUEL 

J’avais quinze ans, à l’été 1993, quand mon chum Saindon a fait jouer, sur sa chaine stéréo, deux albums d’un groupe que nous connaissions peu, achetés par curiosité chez Columbia et reçus par la poste : une compilation, Chronicles, et un CD plus récent, Presto. C’était parfois lourd, parfois planant, toujours parfait. Ce fut tout de suite comme un coup de poing, un coup de foudre et le début d’une grande aventure musicale qui dure encore. C’était Rush. 

Rush, c’est trois musiciens, comme une Sainte-Trinité, du talent pur, des virtuoses, reconnus largement par leurs pairs depuis toujours. Il y a Geddy Lee, le chanteur, immense bassiste, qui joue en même temps des claviers. Alex Lifeson, c’est l’autre, le guitariste, au style unique, qui mêle puissance et complexité. Finalement, il y a Neil Peart, The Professor, probablement le plus grand batteur de tous les temps, capable de compositions inimitables, quasi athlétiques. Chose rare, il est aussi le parolier tout aussi génial du groupe. Rush, c’est certainement le groupe culte le plus populaire, c’est 40 millions d’albums vendus, une intronisation au Rock and Roll Hall of Fame en 2013 et, il faut le dire, le troisième groupe avec le plus de disques d’or consécutifs après les Beatles et les Rolling Stones. 

Rush, c’est, pendant toute une carrière, une évolution et une fusion des genres, tout en faisant preuve de fidélité à ses valeurs, sa créativité, sans tomber dans l’urgence et la facilité de jouer à la radio commerciale. Il faut écouter CHOM pour entendre régulièrement le groupe. D’abord influencés par Led Zeppelin, les gars se tournent vers le rock progressif dans les années 1970, avec des pièces longues et savantes (sur les albums 2112 et Hemispheres, entre autres). Les années 1980 arrivent et les musiciens intègrent les synthétiseurs et des influences new-wave (les albums Moving Pictures et Signals en témoignent). La décennie 1990 marque un retour à un son plus lourd avec des accents grunges et alternatifs.  

Au-delà de la musique, Rush, c’est aussi la richesse et la profondeur des textes ainsi que les évolutions tout aussi marquantes. Un « groupe d’intellectuels pour intellectuels », disait-on. Neil Peart aborde des thèmes de science-fiction et de merveilleux (fantasy). Il lit beaucoup, au point d’en impressionner les deux autres, et développe des idées sur la liberté et l’individualisme, influencé entre autres par les écrits d’Amy Rand. Il écrit des albums complets sur des sujets comme le temps, la puissance et la force, le destin et la chance. 

Rush termine sa route avec un album magistral, en 2012, Clockwork Angels – une histoire de science-fiction se déroulant dans un univers steampunk regorgeant de cités perdues, de pirates, d’anarchistes et dirigé par un fabriquant d’horloges à la main ferme –, puis fait une dernière tournée, R40, en 2015. Le batteur Neil Peart meurt en janvier 2020. J’ai versé une larme quand je l’ai appris; c’est parce que j’ai admiré son jeu que j’ai appris à jouer de la batterie. Rush, c’est surtout des souvenirs et la trame sonore de ma vie. Douze expériences en concert, dont une sublime soirée sur les Plaines d’Abraham, avec mon chum Saindon. Et des albums qui me rappellent le cégep, l’entrée à l’université, la rencontre de ma femme et l’arrivée de mes enfants.  

Rush, c’est l’excellence et l’intégrité musicales ainsi que la fidélité des musiciens pendant 40 ans. Achetez les albums et les chansons, c’est un produit canadien, il paraît que c’est tendance par les temps qui courent. 


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.