PHILIPPE MARQUIS

Autrefois, on appelait cet arbre « épinette rouge », peut-être le dénomme-t-on encore ainsi aujourd’hui, quelque part, je ne sais où. On n’a pas besoin, de toute façon, de toujours tout savoir pour se faire une idée de la beauté.

Comme j’habite une ville à l’environnement pour le moins douteux, je m’empare des mots pour changer d’air. Il y a de ces vivants qui nous inspirent sans que l’on sache pourquoi, vers lesquels l’instinct nous pousse à nous coller. Et ce ne sont pas toujours des  « êtres » vivants.

Cet arbre, c’est le seul de nos conifères à perdre son feuillage tout au long de l’automne. Ses feuilles, en forme d’aiguilles, blondissent doucement durant cette période où le froid invite à ralentir et entre davantage en nous. Puis elles tombent sous la pluie, dans le vent, laissant ses branches recueillir neige et hiver jusqu’au printemps où le tendre vert reviendra.

Le mélèze est épris de lumière, ce doit être la raison pour laquelle on le retrouve surtout dans les tourbières. À ces endroits, de plus en plus rares et menacés, peu d’arbres, si ce n’est l’épinette noire, lui font ombrage. Le frère Marie-Victorin dit de lui qu’il s’agit d’un de nos arbres les plus précieux « à cause de sa grande dimension, de sa force et de sa durée ».

Aussi fort soit-il, je ne me cacherai pas derrière lui. Je préfère grimper sur ses solides branches, comme autant d’aides sur lesquelles s’appuyer, pour aller plus haut et voir plus loin. Voir au-delà de notre brouillard. Mieux encore, je me serre contre lui pour le sentir et l’entendre vibrer en y collant l’oreille.

Il ne fait de mal ni à qui ni à quoi que ce soit. Ses feuilles, lorsqu’elles tombent, ne s’abattent pas au sol comme ces bombes génocidaires sur Gaza. Ses racines ne risquent pas de faire trembler la terre à force de creuser pour trouver des métaux qui devraient alimenter une usine de batteries. Sa présence ne menace aucune espèce vivante. Rien à faire de la transition, rien à faire de nous. Que l’eau rejoigne ses radicelles et le soleil ses feuilles, si on le laisse en paix, en terre, il vivra tout simplement peut-être jusqu’à cent cinquante années. Un temps si long, pour nous, pauvres êtres humains, qu’il nous semblerait approcher l’éternité. En affirmation muette, jour et nuit, sous le soleil brûlant, les averses battantes, les gels, les dégels et les tempêtes, la vie en voyage, d’un état à l’autre, constamment.

Ici je pourrais également évoquer les colonies de kalmias à feuilles étroites qui occupent aussi les swamps. De la même manière, il serait à propos d’écrire sur la fascinante sarracénie pourpre qui se nourrit d’insectes. Tant et tant d’êtres à l’ombre des mélèzes, tant et tant de richesses dans un simple marais. Une existence humaine ne suffirait pas à décrire tous ces mystères. Le silence, peut-être, oui, plus assurément.

Tout change le temps d’une saison. Ici, dans cette forêt, l’espoir respire l’air pur présent dans nos esprits. Sa lumière, aussi ténue soit-elle, nous éclaire pour la suite.


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