DOMINIC RUEL 

En juin, je chroniquais sur le nez de Cléopâtre qui aurait pu changer la face du monde. Il était question de l’uchronie, un genre narratif, littéraire ou cinématographique qui imagine une réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement passé, qui est jugé important ou même plus, déterminant. C’est un exercice naturel de la pensée humaine au fond que l’on fait tous, parfois aussi simplement que dans nos vies personnelles. Si l’utopie est basée sur de nobles objectifs, soit d’imaginer un monde meilleur presque parfait, l’uchronie peut sonner plutôt comme un regret ou sembler bien inutile. Toutefois, pour ceux qui pensent et rêvent, elle est une source infinie de mondes et de temps imaginaires. 

Le Maître du Haut-Château, de Philippe K. Dick est probablement le classique des romans uchroniques. L’auteur imagine un monde où l’Allemagne nazie et le Japon ont gagné la Deuxième Guerre mondiale et se partagent les États-Unis pendant qu’un livre fictif intitulé La Sauterelle, qui imagine un monde où les Alliés ont été vainqueurs, circule sous le manteau. De son côté, Pavane, de Keith Roberts, raconte la conquête de l’Angleterre par l’Invincible Armada. Ainsi, l’Église catholique domine l’Europe et le Nouveau Monde, empêchant le développement technologique. C’est le monde actuel, mais sans révolution industrielle en fait. Puis, dans La Part de l’autre, une de mes lectures préférées, Éric-Emmanuel Schmitt explore ce qui se serait passé si Adolf Hitler avait été accepté à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne et était devenu un artiste plutôt qu’un dictateur. Quant à lui, le roman Roma AEterna de Robert Silverberg présente un monde moderne toujours dominé par l’Empire romain.  

Au-delà des romans, des séries télévisées ont également imaginé des mondes et des temps parallèles en offrant des perspectives uniques et souvent intrigantes sur ce qui aurait pu être le monde. For All Mankind présente ce qui se serait passé si la course à l’espace, dans les années 1957 à 1969, ne s’était jamais arrêtée et si l’Union soviétique avait été la première à poser le pied sur la Lune. Adaptée du roman de Philip Roth, Le complot contre l’Amérique, la série imagine une Amérique où Charles Lindbergh, le héros-aviateur, devient président face à Franklin Delano Roosevelt et instaure un régime fasciste, et la communauté juive s’exile vers le Canada. Dans la série Sliders : Les Mondes parallèles, un jeune étudiant invente une machine capable de générer un vortex qui débouche sur des mondes où l’histoire de la Terre a évolué de manière différente : les dinosaures n’ont pas disparu, la guerre d’indépendance américaine n’a pas eu lieu et le sexe faible est devenu le sexe fort… 

L’uchronie s’invite tout autant dans les jeux vidéo, ouvrant la voie à des possibilités infinies. Dans le jeu Prey, le président Kennedy a survécu à son assassinat, le 22 novembre 1963, et a même entamé un second mandat où il collabore avec les Soviétiques pour la construction d’une station spatiale, mettant fin, 30 ans à l’avance, à la guerre froide. Dans la série de jeux Fallout, le transistor n’a pas été découvert en 1947, ce qui fait déraper l’Histoire. L’inexistence de cette invention expliquant l’absence d’ordinateurs personnels au profit de terminaux cathodiques, comme nos vieux téléviseurs. L’apocalypse nucléaire passe par là en l’an 2077. Là, on n’est cependant plus dans l’uchronie… ni dans la prédiction, espérons-le. 


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.