Lors d’une conférence dans le cadre du colloque du Réseau des Sciences humaines tenu au début du mois de juin, le sociologue Gérard Bouchard affirmait que trois idées fausses s’invitent souvent dans le discours sur l’identité nationale : l’identité d’un groupe est fondamentalement distincte de celle des autres groupes; l’identité est fixe dans le temps; ainsi que l’identité est cohérente, exempte de contradictions. Est-il possible que cela s’applique à l’échelle d’une ville comme Rouyn-Noranda? 

L’historienne Odette Vincent a recensé plusieurs traits culturels régionaux qu’elle explique par la géographie et par l’histoire. Parce que Rouyn-Noranda est géographiquement isolée du reste de la province, les gens se définissent souvent comme indépendants vis-à-vis des grands centres. Ils sont débrouillards et solidaires parce qu’ils ne s’attendent pas à ce qu’on vienne leur porter secours devant l’adversité. Ils sont aussi authentiques que peut l’être la nature qui est à leurs portes. 

Historiquement, la colonisation du secteur de Rouyn-Noranda s’inscrit dans une conquête du Nord québécois. Or, même si Louis-Edmond Hamelin, le père du concept de nordicité, affirme que la région est située dans le prénord, l’identité des gens du coin est assurément nordique. Cela dit, ces traits culturels sont-ils si distincts de ceux des gens des Laurentides, du Saguenay–Lac-Saint-Jean ou de la Côte-Nord? Il y a sans doute des nuances, mais il y a aussi beaucoup de similitudes. 

Au début de Rouyn et de Noranda, les villes jumelles étaient résolument tournées vers les ressources naturelles, principalement le cuivre, l’or et le bois. L’identité de la population de Rouyn-Noranda s’est construite à partir d’images comme celles des cheminées, des shafts (puits) de mines et des moulins à scie. Pourtant, même si les secteurs primaire et secondaire restent économiquement importants, plus de 70 % de la population active travaille dans le secteur des services. Dans les villages des alentours, qui sont maintenant des quartiers de la ville, l’identité était profondément agricole et catholique. Depuis, plusieurs terres agricoles sont retournées à la forêt et les églises ont trouvé de nouvelles vocations. De plus, Rouyn-Noranda n’est plus une ville mono-industrielle, elle est devenue une ville économiquement diversifiée et très dynamique sur le plan culturel. On ne compte plus le nombre d’évènements de nature artistique. L’identité de départ a évolué, et qui pourrait s’en plaindre? 

Les gens de Rouyn-Noranda aiment à dire qu’il existe une douce délinquance ici. Étant loin de Montréal et de Québec, on se donne la liberté d’appliquer certaines règles à notre convenance. Cette perception est valorisée à un tel point que la ville en a fait son image de marque : « Douce rebelle ». Par ailleurs, cet esprit d’indépendance devient un peu plus embarrassant lorsqu’une fonderie ne respecte pas les normes environnementales québécoises. La population de Rouyn-Noranda aimerait bien que la multinationale dont le siège social est en Suisse soit un peu (pas mal beaucoup) moins délinquante… Peut-on parler ici de cohérence? 

Cela dit, malgré ces trois idées fausses, qui peut renier l’existence d’une identité rouynorandienne?