Bianca Bédard, géographe, directrice générale du CONSEIL RÉGIONAL DE L’ENVIRONNEMENT DE L’Abitibi-Témiscamingue (CREAT)

Il y a 50 ans, des dizaines de milliers de Québécoises et Québécois étaient impliqués, directement ou indirectement, dans le « projet du siècle », la construction du complexe La Grande.

Il s’agissait d’une idée visionnaire de Robert Bourrassa, alors qu’on appréhendait une rupture de service en pointe hivernale dix ans plus tard, si aucun nouveau projet énergétique ne voyait le jour au Québec. C’est donc loin des regards, à plus d’un millier de kilomètres de Montréal que les travaux se sont amorcés pour harnacher la Grande Rivière, une majestueuse rivière sauvage, sans que les Premières Nations qui occupaient le territoire n’aient été dûment consultées… et sans non plus avoir préalablement réalisé des études d’impacts sur l’environnement.

Après près de quatre ans de démêlés juridiques, les Cris et les Inuits consentent à signer la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. À la suite de la signature de l’entente, un vaste inventaire environnemental et social est entrepris afin d’acquérir des connaissances sur la faune, la flore, les écosystèmes et le mode de vie des personnes qui y vivent afin de limiter les impacts du projet.

La Kipawa, à l’été 2017. Photographe : Hugo Lacroix.

Un demi-siècle plus tard, Hydro-Québec est chef de file mondial de l’hydroélectricité et des grands réseaux électriques, alors que 94 % de l’électricité au Québec provient de ressources hydroélectriques. Aujourd’hui, la société d’État fait face à un défi similaire à il y a 50 ans. Toutefois, la vision actuelle ne semble plus être tournée vers le développement de nouveaux barrages hydroélectriques. D’ailleurs, aucun des projets hydroélectriques énoncés n’a obtenu l’acceptabilité sociale du milieu. Cette tendance s’observe aussi chez nos voisins de l’ouest et du sud. On dénonce les impacts des dizaines de milliers de barrages construits dans une certaine frénésie, qui bloquent la migration des poissons, nuisent au flux de sédimentation naturelle des rivières et modifient les écosystèmes.

Il y a un clin d’œil évidemment à faire ici avec le projet Onimiki. Récemment modifié, le projet dans sa forme actuelle comporte deux petites centrales hydroélectriques. La centrale Onimiki Nord, ressemblant fortement au projet Tabaret, menace directement l’intégrité écologique du parc national Opémican alors que le projet prévoit détourner les deux tiers du débit de la rivière Kipawa pour alimenter les turbines. Selon les débits projetés, le débit de la rivière Kipawa sera plus bas que son plus faible débit en saison estivale, et ce, près de la moitié de l’année. Quelles sont les répercussions appréhendées sur l’écosystème de la rivière Kipawa? Aucune idée pour l’instant, selon les promoteurs. Bien que le projet soit petit, la puissance étant estimée à 70 MWH environ, ses impacts ne seraient pas négligeables.

Pourtant, il y a près de trente ans, Hydro-Québec abandonnait le projet Tabaret, faute d’acceptabilité sociale. Près d’une décennie plus tard, les municipalités de Kipawa, de Laniel et de Témiscamingue ainsi que les communautés autochtones vivant autour du lac Kipawa demandaient au gouvernement la nomination d’un médiateur dans le dossier Tabaret, considérant que le projet ne respectait pas l’environnement. Les préoccupations majeures ont mené à la création du parc national Opémican, dans l’optique de bloquer tout éventuel projet industriel dans ce secteur. Aujourd’hui, deux communautés autochtones s’étant jadis opposées au projet Tabaret font partie des promoteurs du projet Onimiki.

L’évolution de notre attitude nationale a changé depuis la fierté des grands barrages comme merveilles d’ingénierie. Aujourd’hui, il y a certainement une prise de conscience croissante que notre propre avenir est lié à la conservation des richesses humides et hydriques, à la vie et à la santé des rivières à l’état sauvage. Le développement énergétique du Québec doit se faire en harmonie avec la volonté des occupantes et occupants des territoires.

La rivière Kipawa en 2009. Photographe : France Lemire.


Auteur/trice