À défaut, pour l’instant, d’arriver à briser la glace soutenant un système économique sans âme afin qu’il coule à jamais.

À défaut de pouvoir, pour le moment, faire fondre les égos et ainsi noyer toutes les peines.

Il demeure possible de s’imaginer flotter au printemps.

Prendre une pause, le temps qu’on veut, le temps qu’on peut. Juste prendre une pause. Juste mettre en jachère l’idée de produire. Oublier, idéalement pour quelques centaines d’années, celle de se vendre au prix de la vie. Faire provision de poèmes et les semer le long du courant sans souhaiter récolter quoi que ce soit en échange. Imaginer vivre doucement, autrement; mettre les voiles dans sa tête.

Porter vers sa berge un canot d’écorce. Prendre le large dans cette embarcation d’infortune. Seulement se laisser être, au propre comme au figuré, flotter, pagayer et se donner du sens. Dans la pirogue tissée d’utopie, se diriger vers on ne sait où sans stress ni anxiété. Oser amorcer ce voyage en se laissant porter par l’eau et son cours. Ne pas se contraindre à comprendre ni à traduire en se permettant de vivre sa nature. Rejoindre la crique, le fleuve, le lac ou la frayère. Laisser les flots nous livrer leurs vérités comme on laisse les jours s’allonger. Comme la forêt met la lumière en réserve tout aux alentours du solstice d’été. Sans ces arrière-pensées qui nous ancrent au passé et nous empêchent d’explorer.

Nos barques prennent le large et glissent alors que les aiguilles réapparaissent aux branches des mélèzes. Elles traversent ce territoire millénaire qui n’a jamais appartenu à qui que ce soit. Ici, on doit savoir se taire ou, tout au moins, essayer d’apprendre à écouter sa nature et son histoire. Tout vit ici, il n’y a aucun silence artificiel, l’absence de paroles est donc assourdissante pour qui n’entend pas écouter. Dans cette immensité vibrante, le soleil fait éclore la vie même lorsque le jour décline.

Même la nuit, ce moment où, sur un très grand lac, on peut enfin comprendre, devant le spectacle d’une aurore boréale, que l’on navigue dans les étoiles. Cette vérité si profonde que l’on ne devrait pas avoir à prétendre à plus.

Ces lumières des astres, qui atteignent tout, pansent nos horizons menaçants… aussi étroits qu’un fil d’actualité. Parce que je ne vous apprendrai rien si je vous écris qu’on ne peut pas ramer, ni même flotter, sur un écran plat.

Pour finir, apprendre à retourner à cette réalité qui apparaît de plus en plus étrangère à nos natures. Et canoter, en aussi grand nombre possible, en sachant mieux où aller. Parce que tout paraît trop lorsque nous sommes seuls.


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