Vous ouvrez la porte du campement et voyez les flocons tomber. La toile se referme doucement derrière vous. « Pas besoin d’enlever tes bottes, le plancher est sale. Niaise pas pis assis-toé à côté du poêle. » Celui qui vous a envoyé cette phrase retourne sans attendre à une lettre qu’il écrit à sa bien-aimée. Sa voix et ses traits, difficiles à distinguer avec l’éclairage du feu et d’une unique chandelle, laissent penser qu’il a environ trente ans. Les portes du poêle sont grandes ouvertes et des tisons s’abîment au sol. Sans attendre, vous vous installez près du feu et y allongez les mains. Bizarrement, vous ne sentez aucune chaleur. Votre hôte, lui, trempe sa plume dans un encrier et se dicte des phrases : « Tu verras mon amour, d’ici la fin du printemps, je retournerai vers toi. Nous serons heureux ensemble tout l’été. Ton Raoul qui t’aime pour toujours. » Puis il disparaît alors que vous entendez toujours le bois crépiter et le vent secouer la tente. 

L’homme à la plume n’était pas réel, mais une image en trois dimensions appelée hologramme. Il pourrait être le personnage d’une expérience immersive à laquelle le public serait invité à participer pour comprendre la vie d’antan. Sa représentation, toute réelle qu’elle ait pu paraître, aurait été conçue par l’intelligence artificielle. Ce bonhomme n’existe pas. Voilà. 

Les possibilités de ces nouveaux procédés dépassent l’entendement, le mien en tout cas. Il est maintenant possible de faire dire n’importe quoi à n’importe qui et de produire un cinéma tout ce qu’il y a de plus factice sans hommes ni femmes pour jouer la comédie. Des logiciels qui dénudent des photos de personnes totalement vêtues existent déjà et s’utilisent de plus en plus. C’est aussi de cette manière qu’une candidate ou un candidat à une élection pourra haranguer les foules en dix endroits à la fois. Que croire maintenant? 

Il en va de même pour la production de textes en tous genres et bien d’autres usages. Il suffit de faire quelques requêtes. Je tente tout de suite l’expérience en faisant une demande. Proposer d’abord de composer une chronique présentant les possibilités de l’intelligence artificielle à partir de la visite fictive d’un coureur des bois d’autrefois. Y faire se dégager une réflexion philosophique et un regard acide sur les temps modernes. Finalement, demander que le texte soit assez simple à lire et qu’il comporte environ quatre cent trente mots. Tout cela en s’inspirant de mes textes écrits dans L’Indice bohémien depuis ses débuts.  

L’illusion est complète, n’est-ce pas? Mais le poêle, lui, demeurera froid… 


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