L’histoire commence aux abords du lac Blouin, en plein cœur du parc industriel de Val-d’Or. Au sud-est de ce lac à la source de l’Harricana, parmi les rues aux toponymes consacrant la vocation industrielle du coin, deux noms rappellent à la mémoire collective un épisode peu documenté, mais encore vif dans la mémoire des plusieurs : ceux de Thérèse Cloutier-Lacroix et de Jules Brisebois. La première a été cultivatrice et enseignante; le second était également cultivateur. Les deux ont vécu et travaillé la terre dans ce secteur.
Arrêt sur 1972. Cette année-là, la Ville de Val-d’Or effectue de nombreuses démarches afin de se doter d’un nouveau parc industriel au nord de la voie ferrée qui ceint la municipalité. Elle propose alors une modification du zonage afin de subdiviser ce qui est à l’époque une zone rurale en zones résidentielles, commerciales et industrielles. En parallèle, la Ville mène une vaste campagne de promotion afin d’inciter les entreprises à s’installer dans le secteur industriel, ainsi que pour obtenir du financement public.
Toutefois, un groupe de résidents du lac Blouin s’oppose à ce changement. On demande même un référendum sur la question, qui est finalement fixé au 5 octobre. C’est que le nouveau parc industriel serait érigé sur des terres que nombre de familles résidentes ont défrichées et cultivées, et ce, pendant des décennies. Le nœud de l’affaire : ces familles n’ont pas légalement les titres de propriétés de ces terres. Les gens sont considérés comme des squatteurs, les squatteurs du lac Blouin, comme on les appelle alors.
Quelques décennies plus tôt, à la place des usines et des ateliers, on trouvait dans ce secteur de vastes exploitations agricoles. En effet, dès 1933, des familles s’y installent, défrichent, y élèvent du bétail. Comme tant d’autres personnes aux origines de la ville, elles s’établissent sans trop de formalités. Plusieurs d’entre elles tentent d’acquérir la propriété de la terre et de régulariser leur situation dans les années suivantes, mais en vain. On leur oppose des refus systématiques. Dans un épisode de Par les temps qui courent de Radio Nord, en 1977 (disponible sur YouTube), Édouard Lacroix, un cultivateur du lac Blouin, explique notamment que sa terre a été classifiée « inculte », alors qu’il y cultivait aisément des pommes de terre.
À l’automne 1972, le débat est donc houleux. En vue du référendum, la ville diffuse largement ses arguments (dont la création d’emplois et la diversification économique), allant jusqu’à brandir la perte potentielle de financement dans une publicité qu’elle fait publier dans les pages de L’Écho Abitibien du 27 septembre, où l’on peut lire : « Avons-nous les moyens de perdre une subvention de 250 000 $ qui nous a été accordée pour nous aider à bien organiser notre économie? » Mais le 5 octobre, une majorité de résidentes et résidents concernés se montrent favorables à la modification proposée, ce qui donne le feu vert à la création du parc industriel. Les squatteurs du lac Blouin se retrouvent enclavés dans le nouvel ensemble résidentiel formé autour et à même les terrains sur lesquels les squatteurs et leur famille ont travaillé. Certains ont le sentiment « d’avoir travaillé pour les autres ». Un sentiment d’injustice qui, dans les années suivantes, devient la trame de fonds d’une bataille pour obtenir compensation et pour faire (re)connaitre leur histoire.