Pour le trouver, il faut pratiquement recevoir une invitation. L’atelier n’a pas pignon sur rue. Il faut plutôt rouler jusqu’à Rivière-Héva, prendre à droite, puis à gauche et encore un petit bout sur un chemin isolé et c’est là, à l’abri des arbres, en toute discrétion, que l’on entre dans une autre dimension.
Joé Poitras-Lefebvre nous accueille, coiffé d’un chapeau et chaussé de ses bottes de cuir, dans son repère d’artisan. Une pile de chapeaux feutrés dans un coin attend qu’on vienne leur donner une personnalité. Est-ce que ce sera un chapeau de cowboy? Une pièce à rebord courbé? Le sommet rond ou savamment modelé? Aucun détail ne sera laissé au hasard ni même l’alphabet de poinçons qui viendra marquer dans le cuir, sur le rebord intérieur, le nom du ou de la propriétaire du futur chapeau qui quittera un jour l’atelier.
« Je ne suis pas une usine. Si je faisais ça à la chaîne, il n’y aurait plus le cœur autant dedans. Ils ont tous un petit quelque chose et une partie de moi aussi. C’est pour ça que je tiens à rester petit : pour avoir le goût de faire chaque chapeau », confie le chapelier de 33 ans, qui ne compte plus les heures passées dans son atelier de deux pièces aux murs tapissés de bois.
ESSAIS, ERREURS ET, SURTOUT, PERSÉVÉRANCE
Après avoir travaillé sur des sites de forage au diamant, dans le milieu de la construction et dans la menuiserie, Joé Poitras-Lefebvre a le sentiment d’avoir son avenir entre ses mains. « Mes mains, c’est ce qui m’a permis de faire tout ce que je fais dans la vie », dit-il, affirmant qu’il s’est lancé à fond dans cette petite entreprise, Ole Joe Hats, qu’il bâtit depuis deux ans.
Son arrivée comme chapelier tient toutefois d’une quête à la base bien personnelle. « Avant de faire des chapeaux, j’ai souvent essayé de m’en procurer un et je n’en ai jamais trouvé un qui me faisait correctement. J’ai donc décidé de m’en faire un vrai. Et pour ça, j’ai dû développer et inventer des outils et faire des moules de tête. »
Il lui a fallu des mois avant qu’il puisse parvenir à un premier résultat. « C’est de l’essai et erreur tous les jours », avoue-t-il. 
Au moment de visiter son atelier, Joé venait de terminer son 150e chapeau, fait de feutre de duvet de lapin.
QUALITÉ ET UNICITÉ
Le feutre de fourrure utilisé pour faire les chapeaux de Ole Joe Hats provient d’un fournisseur américain de New York. Quant au cuir, les pièces et lanières sont taillées dans du cuir d’orignal de la région.
« Il y a une différence sur la durabilité et l’étanchéité. Mon bas de gamme est de haute qualité, mes feutres sont en mouton, lapin, castor. Le but est dans la durabilité et dans l’esthétique », insiste-t-il. 
On y retrouve aussi des plumes de perdrix, de dindons sauvages et de canards malards.
UN TRAVAIL DE CONFECTION 

Joé Poitras-Lefebvre a fait preuve d’inventivité et d’ingéniosité pour venir à bout de différentes difficultés liées à la confection. « J’aurais pu acheter tous les moules et tous les outils, mais ça me coûterait vraiment plus cher. Et en même temps, j’ai commencé à faire tout ça parce que ça ne me faisait pas. Alors pourquoi j’achèterais des moules standards qui ne me feront pas? Je suis plutôt en train de bâtir mon standard à moi et le résultat se tient », souligne-t-il avec assurance.
Ses outils, parfois inspirés de ce qui peut être usiné, mais aussi originaux pour mieux travailler ses pièces, sont à eux seuls des objets de curiosité. Le feutre étant rigide, une machine à vapeur faite maison permet de rendre le chapeau plus souple, le temps de lui donner la forme souhaitée. Un autre outil permet d’épouser la circonférence de la tête, de manière parfaitement proportionnée pour mouler un rebord. Un autre encore permettra de polir quelque peu et de brosser le tout pour donner au chapeau une touche finale.
« C’est tout un processus d’une semaine de travail pour réussir trois chapeaux », précise-t-il. Et ce, une fois que les mesures ont été prises sur la tête de chaque client et que la commande ait été bien détaillée.
Environ trois fois par année, Joé Poitras-Lefebvre prend la route. Il se rend à la rencontre de sa clientèle pour prendre des mesures. À l’été 2022, il s’est rendu au Festival western de Saint-Tite, l’occasion de se faire connaître, mais aussi de rencontrer des gens et même de restaurer ou de nettoyer des chapeaux pour les festivaliers, le genre de retouches qu’il ne peut se permettre de faire à son atelier en raison du volume de travail pour lui et son assistant qui vient l’épauler ponctuellement.
Né à Ville-Marie au Témiscamingue, Joé Poitras-Lefebvre a la patience de l’artisan et la passion pour son métier dans lequel s’intègrent ses valeurs. « Quand je ne le sens pas, j’en commence un autre et j’y reviens un peu plus tard. Ça coûte tellement cher, si c’est pour le faire sans l’effort, ce ne serait pas respectueux pour la personne qui l’a commandé. Mes valeurs à moi, c’est que ce soit durable, beau et qu’il y ait de l’amour dedans », insiste-t-il.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.