LISE MILLETTE

Icône du nightlife d’une autre époque, plaque tournante du milieu interlope, carrefour d’une certaine vie culturelle, milieu de vie ou de passage éphémère pour voyageurs ou locataires : le Château Inn demeure un incontournable du patrimoine urbain valdorien.

Le chanteur Raôul Duguay y faisait d’ailleurs un clin d’œil dans sa chanson légendaire La bitt à Tibi :

Stéphane Grenier
Stéphane Grenier, dans le chantier du Château de Marie-Ève
photo Geneviève Lagrois

« Quand j’allions au Château-Inn

Bôire et rire avec mes piastres

Je revenions cômptant les astres

Au petit matin près de la mine. »

Aujourd’hui, le Château demeure, mais il a changé de nom. Il se nomme désormais le Château de Marie-Ève, en mémoire de Marie-Ève Charron, assassinée à Val-d’Or en 2016. De son vivant, celle-ci fréquentait notamment les lieux de refuge et d’inclusion que sont La Piaule et Chez Willie.

Le Château Inn/Château de Marie-Ève fait partie d’un passé qui est loin d’être rose pour Val-d’Or. Pour Stéphane Grenier, toutefois, ce nouveau lieu, en plus d’être une réponse directe à l’itinérance et au manque de logements, vient en quelque sorte réhabiliter le lieu. « On va maintenant le redonner à la communauté en faisant des logements sociaux. C’est quand même 14 ans de travail pour en arriver là. Évidemment, je ne suis pas le seul derrière ce projet. Pour reprendre une expression familière à mes amis autochtones, moi, je suis le tambour qui bat le rythme », commence Stéphane Grenier, qui a suivi toutes les étapes de la démolition du premier immeuble jusqu’à l’édification de celui qui sera inauguré dans quelques semaines.

L’année 2023 s’est ouverte dans les plis de la précédente : avec une inflation galopante et une situation de précarité locative qui sévit partout, en Abitibi-Témiscamingue comme ailleurs. La région est aux prises avec des taux d’inoccupation dramatiquement bas, non seulement pour la population moins fortunée, mais aussi pour les travailleuses et travailleurs de tous les horizons qui peinent à se loger. Avec ses 41 logements, le Château de Marie-Ève se présente comme une solution, une réponse qui ne doit être ni la seule ni la dernière, insiste Stéphane Grenier, professeur en travail social à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et président de la ressource La Piaule de Val-d’Or.

En octobre 2010, le Château Inn a fait les manchettes lorsque les policiers ont mené une série de perquisitions à Val-d’Or dans le cadre de l’Opération Écrevisse, une grande frappe antidrogue. L’opération a permis de révéler l’économie souterraine et le commerce interlope qui y sévissait. Le Château Inn a alors été saisi par l’État, avant d’être acheté quelques années plus tard par la maison d’hébergement La Piaule de Val-d’Or.

« L’organisme était en déficit et nous, on rêvait d’acheter un immeuble pour faire des logements. Il fallait convaincre des gens, essayer d’innover dans des sentiers qui ne sont pas battus », ajoute Stéphane Grenier. Pour lui, toutefois, ce genre de rêve n’a rien d’une chimère, c’est au contraire le socle nécessaire pour tout le reste : vie sociale, communautaire, dynamisme économique et culturel…

« La question du logement est primordiale, c’est pour ça que j’en parle autant. C’est la pierre angulaire de toutes les problématiques. Une inhalothérapeute qui souhaite venir travailler chez nous et qui ne trouve pas d’endroit où se loger, ça aussi c’est problématique. C’est problématique pour tout le monde, dans tous les secteurs », insiste-t-il.

DÉFENDRE DES ENJEUX ET UN MILIEU DE VIE

Originaire de Mont-Laurier, c’est le travail qui a conduit Stéphane Grenier dans la région. « Je suis devenu un “bébé prof”, j’avais 26 ans. Dans ma tête, je me destinais aux grosses universités, mais c’est l’UQAT qui m’a offert ma première opportunité. Ma blonde, qui était française, m’a suivi, sans trop savoir où c’était Val-d’Or », ricane-t-il.

La région lui a ouvert ses portes et Stéphane Grenier a apprivoisé le Nord, sa population et les Premières Nations avec qui il travaille étroitement. D’ailleurs, selon lui, l’Abitibi-Témiscamingue a quelque chose que d’autres régions n’ont pas. Dans certaines régions intermédiaires, il explique qu’on a parfois le sentiment d’être trop loin ou trop proche de tout. « Facile, de Mont-Laurier, d’aller voir un spectacle à Montréal ou à Ottawa. En Abitibi-Témiscamingue, le milieu est en quelque sorte plus dynamique parce qu’il faut se la développer, notre culture », conclut-il.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.