Je suis née à Val-d’Or en 1986, sur Sigma Road. Mon père possédait l’immeuble où l’on vivait. Sa Camaro d’époque remise à neuf avait servi de mise de fonds pour l’acheter.
Plusieurs adresses se sont cumulées après comme dans une grange modifiée sur un champ, une station-service d’un parc industriel, même dans le Grand Nord du Québec avant de retourner dans le plus vieux quartier anglais de la ville, sur la rue Johnson. Depuis, j’ai construit plusieurs demeures. J’en ai perdu plus d’une et j’en ai laissé d’autres derrière.
J’en ai même vu une partir en fumée, une a fait les manchettes d’un talk-show matinal, et une des dernières a paru dans un magazine de design québécois.
Le point, ici, c’est que j’ai une passion pour les maisons. Le besoin d’attachement est une capacité dont j’ai cherché à me départir, sauf l’attachement aux idées, qui me hantent parfois pendant longtemps.
J’ai souvenir de cette petite maison blanche, dans un quartier de lune d’une rue où j’avais l’habitude de passer presque chaque jour, enfant. Je me prenais souvent à rester plantée là devant sa clôture de métal à me faire des scénarios sur qui avait bien pu l’habiter et à m’interroger sur les récits que dissimulaient ses quatre murs, minuscules, défraichis, laissés à la providence des saisons.
Voici l’histoire de la petite maison blanche, dans les mots de Diane Giassa, petite-fille de la propriétaire, que j’ai réussi à retrouver.


« Ma grand-mère Anna Tomcio, l’aînée de six enfants, est née en Pologne de parents ukrainiens. Son père avait une ferme et tenait un petit café à la gare locale. En octobre 1928, Anna épouse son bien-aimé, John Kelman. Au mois de février suivant, ce dernier émigre au Canada, laissant derrière lui son Anna, alors enceinte de leur fille Mary.
John Kelman arrive au Canada en 1929, le jour de la Saint-Valentin, peu avant le début de la Grande Dépression. Il occupe des petits boulots partout où il le peut alors qu’il traverse le pays en train. Dans les années 1930, il arrive en Abitibi, où il devient l’un des pionniers qui seront plus tard honorés par la Ville de Val-d’Or.
Entre-temps, sa fille Mary naît en Pologne en 1929. Au cours de l’été 1939, alors que la Seconde Guerre mondiale commence, le père d’Anna réussit à faire embarquer Anna et Mary sur le dernier bateau de passagers qui quitte la Pologne. John se rend au quai 21 à Halifax pour les ramener à Val-d’Or. Mary rencontre alors son père pour la première fois. Elle a 10 ans. John est charpentier à la mine d’or Lamaque et, le soir, la famille nettoie les écoles.
Peu après leur arrivée à Val-d’Or, la guerre éclate. Les soldats russes attaquent la ferme du père d’Anna en Pologne. Ils emmènent son père et on n’a plus jamais eu de ses nouvelles. Sa mère et une de ses sœurs deviennent des réfugiées.
Les Kelman se taillent une place dans la prospère communauté d’Europe de l’Est venue travailler dans les mines d’or de Val-d’Or. Mary va à l’école où elle apprend l’anglais. Elle se joint à un groupe de danse ukrainienne et joue de la mandoline. Plus tard, elle travaille comme mannequin au magasin Mulholland. Lors d’une danse en 1950, Mary rencontre celui qui deviendra son mari. Ils deviennent amoureux et se marient. C’est de leur union que je suis née.
Après le décès de son mari, Anna habite seule dans sa petite maison et cultive un magnifique jardin. Elle meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 83 ans. »
Je conserve toujours à ce jour le souvenir de cette petite maison blanche.
Les familles immigrantes arrivées à Val-d’Or sont un exemple de résilience, d’honneur et d’acharnement. C’est avec des gens comme eux que s’est bâtie une petite ville minière, entreprenante, multiculturelle et fière.
Que ces souvenirs soient gage d’inspiration pour l’avenir… pour permettre de comprendre cette énergie qui règne dans les arbres quand on traverse le plus vieux quartier de la ville, Bourlamaque, là où tout a commencé.


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