Mon amie Éliane habite dans un très joli village des Laurentides. « La chance que tu as! » lui dit-on souvent avec envie. C’est vrai que le village est beau et que l’offre touristique y est alléchante. Mais il y a un petit bémol. Au premier jour de canicule de l’été, Éliane et sa famille ne peuvent pas aller se baigner près de leur village parce que tous les terrains qui bordent les lacs du coin sont privés. À l’époque où on a développé cette région du Québec, il était normal que les plus beaux endroits soient réservés à une élite économique qui a les moyens de se les payer.
À Amos, celui qui a l’occasion de visiter la ville à partir de la rivière Harricana a longtemps eu comme paysage la cour arrière du garage municipal, la cour arrière d’une vitrerie, des clôtures de broche à foin et des entrepôts. Malgré les aspirations sociales d’envergure dont se targuaient les dirigeants à une certaine époque, il était resté dans la mentalité que la rivière est un lieu pour installer un moulin à scie et laisser les berges devenir des entrepôts à ciel ouvert. Ça a pris les Jeux du Québec de 2005 pour qu’on réalise le potentiel gaspillé de ce joyau naturel et qu’on commence à en aménager les rives pour y installer des infrastructures publiques dignes de ce nom.
À Rouyn-Noranda, le lac Osisko a lui aussi été longtemps considéré comme un endroit idéal pour déverser les rejets toxiques de la fonderie Horne. Les poissons, on s’en fout. L’écosystème… quessé ça? Dans un passé pas si lointain, ses berges étaient aussi colorées que le Grand Canyon, étalant au soleil une palette de couleurs allant du jaune soufre au orange cadmium. Même les canards s’en méfiaient. Aujourd’hui, les berges ont été reverdies, une piste cyclable y a vu le jour et un projet audacieux de réhabilitation du lac se dessine. Les temps changent, les citoyens changent, les visions changent.
Ce portrait désolant de notre territoire fait partie intégrante de notre histoire. Il est le reflet d’une mentalité de prospecteur qui a le réflexe de s’approprier la ressource comme si elle était nécessairement à prendre, sans l’intention de fonder une famille dans ce coin du pays. L’idée de laisser en héritage un territoire en santé n’effleure l’esprit de personne, contrairement à l’esprit de l’agriculteur qui s’engage dans une relation à long terme avec son pays. L’architecture de l’Abitibi fait d’ailleurs écho à cette intention de prendre, mais de ne pas rester. Est-ce un relent colonialiste qui fait que l’humain occidental moyen est incapable de concevoir l’utilisation d’un espace sans en chercher la propriété?
Revenons à cette prise de conscience qui s’opère tranquillement au sujet des richesses publiques comme les lacs, les rivières, les forêts et les espaces verts. Beaucoup de villes visionnaires ont innové en réservant les plus beaux espaces à l’usage public plutôt que de les soumettre aux appétits de l’aménagement immobilier ou du développement économique. En 1995, la Ville de Montréal s’engageait dans la transformation d’une carrière et d’un site d’enfouissement au cœur de la ville en ce qui allait devenir le parc Frédéric-Back, un des plus grands espaces verts de Montréal. La Ville de Québec inaugurait en 2008 la promenade Samuel-de-Champlain afin de redonner aux citoyens l’accès au fleuve et du même coup, de restaurer un segment dégradé des berges du Saint-Laurent.
Dans un même esprit de conservation du patrimoine naturel, de préservation de la biodiversité et d’amélioration de la qualité de vie, le Québec vient tout juste d’atteindre, en décembre 2020, ses cibles d’aires protégées pour lesquelles il s’était engagé en 2002. Toutefois, le manque de collaboration du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a rendu le processus précaire et difficile, en étant plus soucieux de « préserver la possibilité forestière » que le reste des possibilités de la forêt debout. C’est comme si l’industrie lourde avait préséance sur tous les autres usagers de la ressource et qu’on ne pouvait envisager de faire autrement que de toujours vendre ce qui peut avoir une valeur en tant que matière première.
Pour en avoir fait l’expérience, personne n’a le goût d’aller camper dans le parc La Vérendrye pour se faire réveiller en panique à 6 h du matin par le vrombissement infernal des camions de bois chargés à bloc qui dévalent les chemins à quelques mètres des terrains de camping. Personne n’a le goût d’aller chasser dans une coupe à blanc. Personne n’a le goût d’aller pêcher dans une rivière où se déverse un parc à résidus miniers. Pourtant, cette économie-là est bien réelle (et plus durable), s’il faut parler la langue des affaires pour se faire entendre. Selon des renseignements recueillis sur le site de l’Action boréale, « une étude menée par l’institut Pembina conclut que, en matière de dollars, la valeur des services fournis naturellement par un écosystème boréal est trois fois et demie plus importante que la valeur des retombées par l’exploitation immédiate de ses ressources ».
Alors que le confinement tire à sa fin, que tout le Québec est pris d’une frénésie de voyager et de redécouvrir ses merveilles, que la Sépaq croule sous les réservations depuis le mois de février, on a besoin de savoir que toute cette pandémie aura servi à prendre de meilleures décisions pour la santé des écosystèmes. On a besoin de savoir qu’on peut apprendre de nos erreurs.
https://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/aires_protegees/aires_quebec.htm