Le décès de l’Afro-Américain George Floyd, mort suffoquant sous le poids d’un policier devant plusieurs témoins le 25 mai dernier à Minneapolis, a suscité un éveil mondial sur l’omniprésence du racisme systémique. L’Indice bohémien s’est entretenu avec Anna Beaupré Moulounda, comédienne congo-québécoise originaire de Rouyn-Noranda; Fabienne Théorêt-Jérôme, jeune femme anicinabe et militante pour les droits des Premières Nations; et Roger Wylde, artiste multidisciplinaire de Pikogan, afin de discuter avec eux de la présence de ce phénomène dans la région et au Québec, et de son impact dans le domaine culturel comme dans des sphères plus larges.
Tous trois ont vécu, à un moment de leur vie, des situations de discrimination en raison de leurs origines. « Très jeune, j’ai vécu beaucoup de situations de racisme, de discrimination. Très jeune, […] je comprends que je dois me positionner : soit je vais être une victime […] ou je vais prendre ma place. Rapidement, je vais choisir de prendre ma place et le théâtre m’a donné les outils […] pour affronter tout ça », dit Anna. Fabienne, elle, dit avoir longtemps eu honte d’être autochtone : « J’entendais tous les stéréotypes que les gens dans ma classe me disaient, que j’étais une sale Indienne […]. Je pensais que j’allais partir du Québec pour toujours, je ne voulais pas rester ici. »
Anna a trouvé dans le jeu une façon de s’affirmer, mais a été choquée de constater, à sa sortie de l’école de théâtre, les rôles très stéréotypés qu’on lui proposait. En créant ses propres projets, elle a pu enfin mettre fin à cette tendance, mais s’est, là encore, heurtée à des obstacles pour obtenir la visibilité souhaitée : « Les décideurs […] sont des personnes blanches qui ont des biais culturels, conscients ou pas […], quand ils voient mon projet arriver, ce que ça les fait vivre c’est, “ben voyons, c’est un show pour les Noirs, c’est pas très universel”. ». Pourtant, Anna mentionne que beaucoup de personnes blanches ont vu sa pièce et s’y sont identifiées. « Il faut arrêter de croire que le Blanc est la référence universelle », insiste-t-elle.
Pour Roger, l’art peut servir de lieu de rencontre et d’échange. Cela dit, il insiste particulièrement sur l’importance de l’authenticité des artistes autochtones et la conscience de leurs origines, de leurs croyances et de leurs valeurs dans leur démarche. Il déplore que des gens s’approprient origines et savoirs autochtones sans approbation. Pour lui, cela crée un climat de méfiance qui rend le partage plus difficile.
Il souligne que l’époque des pensionnats a marqué toute une génération et que certains en ont gardé de mauvaises habitudes : « Il faut partir sur de nouvelles bases, mais sans oublier notre passé. Certains pensent que c’est de l’histoire qu’il faut mettre de côté, mais il faut savoir d’où on vient. […] À Pikogan, il ne reste presque plus d’aînés. C’est beaucoup de savoirs qui vont disparaître. Ça va être un gros deuil ». Celui qui s’implique dans l’organisme Minwashin souligne l’important travail de ce dernier pour permettre aux premiers peuples de se réapproprier leur culture et pour mettre en place des actions correspondant à leurs aspirations artistiques, le tout dans un contexte inclusif.
Pour Fabienne, les parallèles entre les événements survenus aux États-Unis et la réalité des Autochtones sont nombreux. Elle rappelle que la brutalité policière est un fait bien connu de ceux-ci et se remémore avec émotion l’année 2015 à Val-d’Or, où des femmes autochtones ont dénoncé des agressions commises par des agents de la Sûreté du Québec : « Comment se sentent ces femmes-là? Qui les protège si ce ne sont pas les policiers? » Roger abonde dans le même sens. Non seulement la brutalité policière est présente au pays, mais les corps policiers nient son existence et contribuent ainsi à perpétuer le racisme systémique. Il s’étonne que le gouvernement provincial n’hésite pas à parler de droits des Québécois, de droits des femmes, mais rarement de droits des Autochtones.
Anna, Fabienne et Roger sont optimistes pour l’avenir, tout en reconnaissant qu’il reste du travail à faire. Ils ont quand même des pistes de solutions à proposer. Anna penche pour un plan d’action général dans l’univers culturel : « C’est crucial que des choses se passent à tous les niveaux. […] Ça prend des quotas, des mesures incitatives […], de la diversité sur les CA, les jurys, les postes décisionnels. » En ce qui concerne les peuples autochtones, Fabienne croit en leur autodétermination : « On connaît notre culture mieux que personne, mais il faut prouver au gouvernement qu’on est des peuples capables de prendre soin d’eux-mêmes. Comme si on était des enfants et qu’il fallait leur montrer qu’on est capables de voler de nos propres ailes qu’eux-mêmes ont arrachées. Laissez-nous parler, on vous a écoutés pendant 500 ans ». Roger, lui, invite les gens à voir au-delà des images véhiculées par les médias, à aller véritablement à la rencontre de l’autre avec l’esprit ouvert, à créer des dialogues où tous sont égaux.