Le bonheur tient à bien des choses : l’estime de soi, le succès professionnel, l’accomplissement personnel ou l’amour. Mais on pense souvent à tort que le bonheur est quelque chose de personnel, ce qui est loin d’être le cas. Ce n’est pas la première fois que j’en parle : le bonheur vient principalement du sentiment de faire partie d’une communauté. Avoir l’impression d’avoir sa place dans le monde, de participer au mouvement d’une collectivité est ce qui donne un sens à ce que nous sommes.

L’Abitibi-Témiscamingue a dans son ADN un sens profond de la communauté. Les Anishnabeg l’avaient compris il y a au moins 8000 ans. Seul dans le froid, on ne survit pas. Les colons des plans Gordon et Vautrin l’ont ensuite appris à leurs dépens. Sans voisins pour bâtir maisons et ouvrir chemins, point de salut en terre boréale. Il n’aura fallu que 20 ans au gouvernement de l’époque pour abandonner la région à son sort, délaissant le mouvement de colonisation du Nord pour l’effort de guerre. On a fait quoi pendant ce temps? On a mis en place le système D. On s’est fédérés. On a fondé des coopératives dans les villages et dans les forêts. On s’est organisés. Comme des insulaires ou des naufragés, on a mis en place les bases d’une société qui voulait se définir par elle-même et faire les choses à sa manière. Pas le choix.

Il y a eu des curés Pelletier, des Yollande Desharnais et des Réal Caouette. Des Fernand Bellehumeur et des Marcel Mainville. Des Guy Lemire, qui ont mis les deux mains à la pâte, qui ont nommé ce que nous devions devenir collectivement. Ils nous ont tricotés, une maille à la fois, dans un esprit farouche d’occupation du territoire. Notre université n’a pas le nom d’une ville, elle est celle de l’Abitibi-Témiscamingue, parce que l’éducation doit être accessible à tous, partout. C’est comme ça qu’on augmente notre taux de diplomation chez nous en région. Ça a été un choix de société, un choix qui nous définit dans ce qu’on a de plus fort, une vision collective du développement.

La centralisation des pouvoirs que le gouvernement actuel tente de mettre en place risque fort d’affaiblir ce tissu social en rapatriant à Québec la plupart des décisions qui nous concernent, sans nous consulter, sans tenir compte des particularités régionales, sans tenir compte de notre expertise dans tous les domaines, ni du travail accompli par les générations d’avant. Pourtant, l’Abitibi-Témiscamingue a su développer un capital humain qui n’a pas son égal. Personne n’est mieux placé que nous-mêmes pour savoir ce qui est bon pour nous. Difficile de gober un plan d’austérité qui ne propose aucune vision de société, qu’on nous fait avaler de force à coup de discours calculés à la virgule près.

Lorsqu’un gouvernement abolit les structures politiques et organisationnelles qui ont une portée régionale, notamment la Conférence régionale des élus de l’Abitibi-Témiscamingue, on affaiblit cet esprit de groupe qui a fait la force de la région. C’est vrai, tout n’est pas rose dans l’album de famille. L’histoire régionale est bien sûr faite de nuances… Les Huskies et les Foreurs entretiendront toujours, je l’espère, une saine rivalité! Toutefois, sans ces structures régionales élargies au-dessus des organismes de gestion ou de développement municipaux, c’est comme si nous marchions sous les flèches sans bouclier. Le développement de notre région subira la loi du chacun pour soi. Les MRC se battront les unes contre les autres pour obtenir l’une un musée, l’autre du matériel médical, sans vision globale et équitable du partage du territoire. Une compétition plutôt qu’une collaboration, qui ne profiterait à personne, au final.

J’ai la conviction que la région a tout ce qu’il faut dans le ventre pour se tenir debout devant ce que je considère comme un démantèlement à peine déguisé. Le temps de la colonisation et de la vampirisation des ressources est terminé. L’attitude paternaliste et débilitante du gouvernement actuel est une insulte aux régions du Québec et aux gens qui y ont investi leur vie. L’austérité n’est pas une raison pour ne tenir compte de l’opinion de personne ni pour pointer du doigt tous ceux qui osent tenir un discours qui sort de la logique capitaliste qu’on érige maintenant en religion.

Pour illustrer la chose, une phrase qui revient souvent et mérite à mon avis qu’on s’y attarde : « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » Une coalition de plusieurs régions rurales s’organise actuellement pour se faire entendre : Touche pas à mes régions! À chacun de nous maintenant d’ajouter son poids dans la balance. Le 29 janvier prochain, l’Abitibi-Témiscamingue se mobilise. Soyez des nôtres!


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