Le vert tendre des jeunes pousses, des mélèzes et des feuillus éveillés amène enfin la promesse d’un nouvel été. Après un long hiver qui a osé venir nous narguer d’un dernier tapis de neige au début du mois de mai, les chants des oiseaux, l’odeur de la terre retournée pour le jardin, la vue des lacs calés et des couchers de soleil rose et violet annoncent la belle saison. Autant de beautés brutes d’un monde reculé qu’on ne voudrait pas échanger pour une pelouse de béton.

Les fresques naturelles qui défilent au rythme des saisons sont autant de peintures vivantes. Elles sont la source d’inspiration de nos poètes, qui en contes ou en chansons, déclinent notre région.

Nos livres d’histoires sont peuplés de récits épiques. Cette année, en Abitibi-Ouest, trois centenaires, Macamic, La Reine, La Sarre, nous rappellent comment les premiers colons ont tout quitté pour un nouveau monde qui, même austère, a su faire croître des racines profondes.

Ainsi, nos contrées lointaines, à des miles des grands centres qu’étaient déjà Montréal et Québec, portaient en elles des trésors cachés. Dans des bois où la vie est généreuse, cette nature a été vénérée comme sacrifiée, mais elle se montre résilience. Les cicatrices des vagues d’exploration, le ventre ouvert par les minières, ces galeries font néanmoins partie d’un tout. Ce sont les marques du temps, les légendes d’une jeune région. Ces meurtrissures constituent l’ADN de ceux qui y ont pris naissance et des autres, venus d’ailleurs, qui ont décidé d’y étendre leurs racines.

Dans ce sol riche de minerai, où l’agriculture se pratique aussi, des générations ont su creuser, labourer, extraire, cultiver et s’ancrer à ce port de terre. Des canots d’écorces on su se maintenir à flots sur des rivières de courage et des lacs qui foisonnent de vie eux aussi.

Dans ces environnements aussi différents et aussi fertiles les uns que les autres, des trésors d’imagination ont pu éclore.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait le chimiste Antoine de Lavoisier pour parler de la matière.

Cette matière, lorsqu’il est question des arts, elle est partout. C’est un prisme que l’on déplace, la lumière qui traverse le verre, des bas qui forment le tissu d’un tipi pour Véronique Doucet, le métal qui sous les doigts de Karl Chevrier se change une œuvre admirable, les sons épars qui pour Marionnette Pointue créent une ambiance inquiétante, le petit village reculé de Clerval qui devient le titre d’une chanson de Lubik sur l’album « Vivant ».

Mais quand la muse est menacée, alors l’ADN s’éveille. Quand on s’en prend à la matière, les poètes reprennent leurs crayons et tentent de préserver ce qui fait la beauté, ce qui fait l’unicité. Lorsque cet environnement dans lequel nos racines sont profondément enfoncées est ébranlées, les secousses se rendent jusqu’à la cime et au bout des brances.

C’est pour cette raison que L’Indice bohémien dresse en Une de son numéro de juin un caribou. Les caribous forestiers de Val-d’Or ont entendu le glas sonner. Ces habitants de la forêt sont menacés d’une déportation qui pourrait leur être fatale. Henri Jacob et Richard Desjardins plaident pour une mort dans la dignité, mais derrière ces mots fatalistes, c’est l’ADN de ceux qui ont fait corps avec cette nature qui s’exprime.

Trop de combats ont été menés pour laisser s’éteindre, sans mots dire, certains des nôtres.

Bientôt dans un parc loin de chez nous? Comme dans une autre galaxie au loin, plus loin encore que ces premiers voyages qui ont déporté jadis des milliers de gens, la tête et parfois les valises pleines de rêves.

Chaque départ est un deuil, mais on se console sur la promesse d’un ailleurs qui se veut meilleur. Qu’en est-il lorsque cette promesse, justement, n’est pas forcément au rendez-vous?

Un magazine culturel qui place en page couverture un caribou à la Polson dans une création de Staifany Gonthier c’est à la fois un peu incongru et audacieux. Dans son illustration, l’auteure semble avoir été inspirée par l’essence de la bête, comme si un sentiment d’urgence avait trouvé refuge dans les couleurs et les contours. Tout se transforme, oui, en voilà une éloquente démonstration.

L’art peut être fragile et délicat ou encore vif et fort. C’est un langage fait de murmures et de cris pour porter des messages qui se partagent et se transmettent. Sans même un geste l’art peut toucher là où aucune main ne peut se poser. Souhaitons que les cordes sensibles sauront résonner pour que la musique ne s’arrête pas pour les caribous, figures emblématiques de nos forêts.

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Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.