PHILIPPE MARQUIS 

Il me faut vous avouer ma difficulté à rédiger en ces temps indicibles. À quoi cela peut-il bien servir d’écrire avec tout ce qui se passe et nous dépasse? Pour être tout à fait franc, j’en suis à la cinquième version de ma chronique ce mois-ci. On pourrait croire que j’ai les blues de l’hiver, mais il n’en est rien. J’adore cette saison et l’envie de la fuir en partant pour le sud n’a jamais eu d’emprise sur moi.

Il s’agit d’autre chose… On croirait par moment qu’une ombre très sombre fait tout pour s’imposer. Elle trouve son origine au sud de nos frontières. La violence verbale et les gestes inhumains s’enchaînent et nous emprisonnent dans un délire rien de moins que fasciste. Au milieu d’une telle tempête de haine, on peut en arriver à voir de moins en moins de sourires sur les visages croisés comme réciproquement sur les nôtres. 

C’est évident que vous ne désirez pas plus cette absence de lumière que moi, alors mieux vaut s’y faire et en donner. Puis, si les sourires se raréfient, pourquoi ne pas les provoquer et sortir de l’obscurité? Hier, nous avons choisi d’inviter des camarades à un repas communautaire. Tu y amènes ce que tu peux : une salade, une entrée, un dessert. Et si t’as rien, bien tu te ramènes tout simplement parce que c’est d’abord toi qu’on veut avec nous. 

Nous nous sommes retrouvés huit, serrés les uns contre les autres autour de la table. Pour se donner chaud, voir plus clair et lever nos verres à la mémoire d’un très grand ami qui vient de partir. Ça console, être ensemble. Ça allume de vivre l’amitié. On a eu des échanges passionnés, quelques idées folles et de bonnes histoires. 

Source : Paul Gauguin, Le repas (1891). 19th century Japan. Image du domaine public.

Une soirée comme celle-là donne le goût de saluer toutes les personnes que l’on croise, de s’approcher des autres pour les prendre dans ses bras, de semer la joie sur nos chemins afin d’éviter de se perdre dans la morosité ambiante, de faire éclore des blagues et se les raconter sans arrêt, de lancer à tout moment des bouquets de bienveillances, de cultiver l’amusement à chaque époque de l’année, de se donner la main, de s’embrasser, de s’aider, de s’entraider, de se chérir, de se soutenir et de s’organiser! 

Ça donne aussi envie de devenir des alchimistes, de changer le monde, de rire, les crampes au ventre, des nuits durant, de cuire le pain au matin, de s’enseigner l’art de vivre, d’écouter des histoires, de lire les signes du temps, de valser dans le vent, de plonger tête première dans un banc de neige, d’entendre le sifflement du nordet à ses oreilles, de sentir les éclats glacés tomber du ciel et crépiter sur sa peau, de considérer nos vies, toutes les vies, pour ce qu’elles devraient être, à la fois fragiles et belles, de marcher côte à côte dans le froid et de taper la trail, de l’ouvrir vers l’espoir, de tendre nos bras pour consoler et accueillir, de les tendre quand l’horizon offert ne semble pas assez grand, d’œuvrer à créer de beaux souvenirs tout de suite au présent et d’imaginer les pousses poindre au mois de mai. 

Osons transmuter tout l’or et les métaux que nous nous évertuons à arracher de la terre en solidarité. Imaginons et créons le meilleur de nous. 


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