Une femme trône sur le coffre arrière d’une décapotable rouge. Le véhicule roule lentement le long d’un boulevard, peut-être à Los Angeles. Elle chante et se déhanche sur la nouvelle chanson d’un légendaire groupe rock. Les membres de la formation ont longtemps été quatre, mais leur batteur a rendu l’âme l’an dernier. Deux des membres ont maintenant 80 ans et le plus jeune du quatuor, 76! Là n’est toutefois pas le sujet de cette chronique puisque quoi de plus naturel que vieillir? Reste que la pérennité du groupe épate et nous encourage à durer. 

Revenons au boulevard. La voiture derrière laquelle se balance l’actrice passe devant d’immenses panneaux publicitaires sur lesquels apparaissent nos immortels. On les y voit danser et prononcer distinctement les paroles de leur nouveau succès. Scènes de visages complices s’approchant d’un micro, de solo de guitare et d’un membre qui s’enroule dans un drapeau américain. Rien d’original. Ce qui m’étonne, c’est de les reconnaître dans des corps rajeunis tout en chantant une nouvelle toune

Des images de synthèse, créées à partir de puissants logiciels. Ainsi, la voiture ne roule pas sur les rues de L.A., les traits de la femme ont été travaillés et nos octogénaires n’ont jamais chanté cette pièce dans le passé, pas plus qu’ils ne peuvent s’agiter sur des panneaux le long d’un boulevard. 

Ma blonde comprend mal que je réagisse ainsi, car le fait de jouer avec la réalité n’a rien de nouveau. Ouais… je suis peut-être naïf ou un peu lent de matière grise. Ce qui me déroute, ce sont ces images défaites, refaites, surfaites qui commandent désormais nos imaginaires. Ce sont tous ces moyens utilisés pour guider notre quotidien, dicter nos goûts, nos opinions, voire nos vies. Il ne s’agit plus d’arguments de vente mensongers, mais de réalité augmentée ou d’intelligence artificielle qui tente d’influencer nos façons d’être, et y parvient trop souvent. 

Il devient ainsi possible de faire croire que telle personne a dit telle chose avec captations visuelle et sonore à l’appui, alors que c’est faux. Cela se passe déjà. Dans une société capitaliste, tous ces outils servent à la commercialisation, que ce soit d’un album de musique, d’une idée politique ou d’une quelconque bébelle dont nous n’avons pas besoin.  

Nous nous retrouvons traqués dans un embouteillage sur ce boulevard électronique entièrement privatisé. Tous nos clics y sont enregistrés. C’est comme ça que vous recevrez une publicité adaptée à vos habitudes de consommation, quelles qu’elles soient. De la même manière, les partis politiques tenteront d’adapter leur discours à votre profil. 

Voilà pourquoi le réel, nos visages, nos corps, nos mots et la nature m’inspirent et m’attirent tant. Parce que c’est vrai comme les nuages, la neige, la pluie, les outardes qui volent dans le ciel ou les feuillus qui s’enflamment. En fin de compte, c’est bien davantage à notre portée que de s’illusionner à vouloir rencontrer Mick Jagger, Keith Richard et Ronnie Wood en personne. Pas vrai? 


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