Je suis maman. Je dois donc répondre souvent à un tas de questions. Parfois elles sont pragmatiques. Qu’est-ce qu’on mange? Parfois elles sont profondément existentielles. Quand Carey Price va-t-il revenir au jeu?
Des questions, je m’en suis posée beaucoup depuis que j’ai commencé à penser par moi-même. Toute petite, je voulais tout comprendre. J’étais frustrée lorsque le sens des mots m’échappait, que les adultes parlaient un langage qui me semblait incompréhensible. On avait beau tenter d’épeler sans faute le mot anticonstitutionnellement, jamais nous ne comprenions la complexité du concept même d’une constitution! Combien de fois j’ai ouvert un dictionnaire pour tenter d’effriter la masse compacte de mon ignorance? Tenon et mortaise. Garance et alizarine. Staccato. Spumescent. Ursidé. Encaustique. Joug. Lysimaque et linaigrette. Ubiquité. Ambiguïté. Relativité. Je me suis souvent demandé qui avait bien pu inventer ces mots, et le parcours de ces inventions dans l’esprit de celles et ceux qui en ont eu besoin.
À l’époque lointaine où il y avait encore des activités parascolaires, mes enfants faisaient partie d’équipes de Génies en herbes. Dans cette compétition, il y a une catégorie « expressions de la langue française ». Un jour, en plein tournoi, l’animatrice demande, « Complétez l’expression suivante : il ne faut pas mettre la main entre l’arbre et… » Et mon fils de 3e année qui pèse fièrement sur le piton de la manette et qui s’exclame, « entre l’arbre et la hache! » Hilarité générale dans l’assistance. Malgré la suggestion qu’on lui accorde le point, mon fils rougit de toutes ses forces. Même s’il avait raison sur la morale de l’histoire, il n’a pas eu son point. C’est entre l’arbre et l’écorce qu’il ne faut pas se trouver.
Depuis que les fistons ont appris à lire et à écrire, les mots les intéressent. Amos Daragon et l’Agent Jean n’ont pas de secrets pour eux. Ils écoutent régulièrement leur lecteur MP3 rempli d’une sélection musicale concoctée avec soin : Vigneault, les Beatles, les Rita Mitsouko, Loco Locass, Aznavour, Félix Leclerc, Stromae, Elvis, Brassens, Pellerin, Piaf, Ray Charles, Chilly Gonzalez et j’en passe. Si les rythmes et les mélodies se ressentent plus facilement, les chansons sont faites d’une poésie qui leur échappe parfois. Ils cherchent alors à comprendre. « Maman, qu’est-ce que ça veut dire des radeaux tressés de rêves? » Et je tente alors du mieux que je peux de leur donner des clés pour accéder à cette dimension, à ces univers infinis et puissants que sont les mots.
La dernière question du genre remonte à l’automne. « Maman, c’est quoi le tissu social? » J’ai pris le temps de réfléchir à la question, d’abord pour moi-même. Les apprentissages ne se font pas à sens unique, après tout. « Le tissu social, c’est ce qui unit les gens. Imagine nos voisins, dans notre quartier. Chaque fois qu’il y a quelque chose en commun entre deux personnes, on imagine un petit fil qui les relie. J’aime faire pousser des fleurs et Pierre aussi, ça fait donc un fil entre nos maisons. Tu vas à l’école dans la même classe que Fatoumata, ça rajoute un autre fil. Geneviève et Alexandre travaillent à l’hôpital. Yvon aime faire du vélo, Pablo et Ali jouent au soccer, Isabelle s’entraîne pour le marathon. Yves a planté des arbres dans le boisé, Michel va y faire du ski de fond. Tu peux imaginer un fil qui relie les gens chaque fois qu’ils aiment quelque chose en commun, qu’ils partagent quelque chose : leurs habitudes, ce qu’ils mangent, ce qu’ils écoutent, l’endroit où ils travaillent, les fêtes qu’ils célèbrent, leur histoire, leurs amis, leurs valeurs, leurs espoirs, leurs projets. Si on visualise bien, dans une ville, dans une région, dans un pays, dans le monde, ça fait tout un tissu! »
Ce plaisir de découvrir la beauté de la langue, je l’éprouve encore aujourd’hui en lisant Kim Thuy, Jocelyne Saucier ou Simone Swchartz-Bart. Les mots sont tour à tour des refuges, des provocations, des lanternes. Il faut lire plus, il faut faire lire les enfants. Il faut lire de tout et le plus souvent possible. Non seulement ça rend le cerveau plus actif, mais ça remplit à merveille les soirées de confinement et ça fait voyager pas cher.
Comme pour tous les domaines du savoir, plus on découvre de mots, de concepts, de notions, plus on mesure la portée de ce que l’on ignore. Ça rend modeste! En même temps, plus on enrichit notre vocabulaire intellectuel, émotif, scientifique, plus le monde et la vie se déploient subtilement et avec délice. J’admire la faculté des enfants d’être curieux de tout et de poser toujours plus de questions. Ils sont en pleine découverte et n’ont pas (encore) nos préjugés. Je crois qu’il faut les imiter. C’est à nous d’ouvrir le plus de portes possible. Si vous manquez d’idées, allez consulter votre libraire!