L’Abitibi a vu son histoire projetée plus d’une fois au cinéma. Dans cette série d’articles, on va dépoussiérer la mémoire collective, parcourir à rebours le cours des jours jusqu’au partage des mots, brasser le fond et se remettre dans la forme des vues sur le Nord.
Ici, quelque part avant une deuxième guerre, quelque temps après une grande dépression, paraît qu’on avait besoin de vous; pour désauvager la terre, pour défricher la perte de vue, pour déflorer le paradis au nord et redonner du souffle au Québec, ça prenait des bras qui cherchaient de quoi à faire. Mais du monde qui voulait dépasser les limites de l’asphalte et se perdre dans les mouches, on les comptait pas à la tonne. Y a fallu les charmer un par un et leur promettre un Éden par tête pour les traîner jusqu’où vous êtes assis.
Travailler avec l’Église, c’était le motto de Duplessis pour bâtir dans la noirceur une nation qui survivrait au Canada, et on a vu aux débuts du cinéma québécois l’Église prendre le siège du projectionniste pour que l’écoutent ses ouailles. Les pères fondateurs (Maurice Proulx, Marcel Tessier…) avaient compris la règle du jeu et faisaient fitter leur vieille soutane avec leur kodak neuf.
C’était peut être la première fois qu’on voyait une caméra en Abitibi quand l’abbé Maurice Proulx est venu filmer En pays neufs : Un documentaire sur l’Abitibi (1937), mais ce premier call filmé chez nous nous résonne encore sous le panache. Dans En pays neufs, film présenté par le ministère de l’Agriculture et de la Colonisation, l’abbé Proulx nous fait d’abord visiter un village autochtone, puisque c’est à eux que nous emprunterons le sol et les eaux; mais, au cinéaste, il paraît inutile de s’y attarder plus que pour le temps d’une série de portraits. De toute façon, on devinait, à l’humour un peu douteux du narrateur sur fond de Tchaïkovski, une espèce de mépris sympathique. Ce survol en surface du mode de vie de ceux qu’on appelle sauvages nous laisse présumer que le prêtre ne connaissait pas grand chose des mœurs algonquienes.
La caméra nous embarque pour le cœur du récit, traverser le lac Abitibi pour amarrer à Sainte-Anne-de-Roquemaure, ce village qui devra symboliser le pays neuf, une terre où dans le travail on parviendra à la liberté. L’abbé Proulx, à travers la voix d’un narrateur au fier roulement des « r », ne coule pas son discours dans la subtilité et sème tout au long du film, par des portraits de gens que le malaise devant la caméra fait habilement sourire et des plans sur la nature de plus en plus soumise à l’homme, l’idée que la terre argileuse de l’Abitibi donnera à qui la laboure une récompense inimaginable.
Sur les trois ans que le cinéaste en robe longue a passés dans la région, faisant le focus sur Villemontel, Preissac, Destor, Cléricy, le lac Castagnay, Amos, Val-d’Or et Bourlamaque, il reste néanmoins qu’il a filmé un réel miracle, celui de l’homme qui peuple une contrée hostile et qui décide d’y rester, passant d’un abri de colons à une petite cabane en bois rond, et à une grande maison donnant sur une terre de cent arpents de neige.
Finalement, En pays neufs, c’était l’appel au colon, un film de propagande né d’un besoin économique, mais qui malgré lui fera peut-être mentir son narrateur qui, pendant que défilent des images de défricheurs, prévoyait que « le jour viendra où sera oublié à jamais le temps des souches », puisqu’il constitue presque le seul témoignage filmé des premiers coups de haches canadiennes-françaises en territoire abitibien.