L’histoire de l’Abitibi est si jeune et nouvelle qu’il paraît improbable que certains pans de celle-ci soient si négligés et laissés à l’oubli. La région à l’époque de ses premières colonies était une véritable tour de Babel, riche de ses multiples identités culturelles.

Nadine Beaudet a décidé de tourner sa caméra vers ces résidents oubliés de notre région avec Le cosaque et la gitane, plus particulièrement sur Mgr Lev Chayka et Raïssa Gabrysz, deux des derniers exemples de ces piliers mal connus de notre région.

Mgr Lev Chayka et Raïssa Gabrysz sont à eux seuls des monuments en hommage à  la présence ukrainienne. L’histoire de la colonie ukrainienne est puisée à même leur mémoire tanguant encore de nostalgie. On sent toutefois que leurs traces arrivent à s’effacer, à appartenir aux souvenirs.

Vers le début du film Le cosaque et la gitane, Mgr Lev Chayka souhaite ajouter une inscription à son église soulignant les 95 ans de présence ukrainienne en Abitibi. Impossible alors de traduire en ukrainien le mot présence. Il y a ici dans ce mot comme une politesse qui minimise la nostalgie liée au déracinement, au fait d’habiter un lieu qui est loin du sien. Il tape finalement existence, tout simplement.

C’est aussi la question que se pose la documentariste : comment traduire en images la cohabitation en Abitibi de la culture ukrainienne qui n’est pratiquement plus visible à part que par ses églises? C’est plutôt grâce aux personnages que l’on comprend l’importance qu’a eue cette population sur le développement et dans l’histoire de la région.

Fuyant la misère en Ukraine, les nouveaux immigrants ukrainiens ont été placés dans des camps de concentration, dont Spirit Lake, à La Ferme, en raison de la Première Guerre mondiale. On y comptait plusieurs centaines d’Ukrainiens parmi d’autres ennemis de l’État. La guerre terminée, ils ont gagné les tunnels des mines d’or et de cuivre pour y travailler et voir mourir d’autres mineurs, près de deux par semaine selon l’évêque orthodoxe. Ce chapitre fait partie de notre histoire commune et ses pages sont tachées d’une misère tellement noire qu’on a fini par ne plus vouloir les lire. Cette tristesse, dans Le cosaque et la gitane, l’homme la raconte et la femme la chante et la pleure.

Le montage fait dialoguer ses personnages avec le passé par l’usage d’archives filmées datant du début du 20e siècle, une forme qui permet de sentir leur passage sur notre territoire.

Il y a aussi la mort qui rôde dans ce film, planant au-dessus des traces de la culture ukrainienne et de ses plus vieux habitants. Raïssa visite un couple de vieux amis qui n’ont plus sa vivacité. L’homme lui dit tout bonnement qu’il est le plus vieux des Ukrainiens, les autres étant tous morts. 

Tournée à la manière du cinéma direct avec une attention portée au symbolisme et aux métaphores visuelles, ce documentaire rend un bel hommage à la présence ukrainienne en Abitibi depuis 1915.

 

Le cosaque et la gitane est disponible en location numérique sur cinemaexcentris.com.


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