PHILIPPE MARQUIS 

L’hiver, ce temps si froid, si blanc, prépare notre nature à accueillir l’été. Je crois que c’est l’une des raisons pour lesquelles je l’aime tant. Cela dit, la saison chaude offre maintenant un spectacle incessant, aux possibles innombrables, sans prix d’entrée. Période de vacances et d’errances, les beaux jours permettent de vagabonder dans une nature immensément riche en possibles et en vies. 

Se laisser dériver, seul ou non, sur un lac et contempler la pluie à l’horizon. Elle se déverse au loin en s’approchant vite ou lentement, dépendamment du vent. S’abandonner à la surprise du ciel qui se déverse sur nos êtres. 

Ramer vers la rive pour s’y mettre à l’abri. Pas par peur de l’eau, on a déjà vu mouiller, mais pour entendre tambouriner les milliers de gouttes sur les feuilles d’un peuplier ou le toit de tôle d’un quelconque refuge. Bon, peut-être que la pluie pianote aussi. Il se pourrait même qu’elle chante. Qui sait? Pourvu qu’on œuvre à se mettre en accord avec elle. Qu’on puisse simplement l’accueillir. 

CC BY-SA 2.0 – Chris RubberDragon. (2011, 9 décembre). Rainfall Raindrops.

Marcher pieds nus sur la terre imprégnée de rosée matinale. Déambuler, la bouche grande ouverte, pour tenter d’avaler des nuages comme d’autres s’abîmeront dans la crème glacée. Parcourir la forêt sans se presser. Ne pas tenir compte du temps. S’improviser des trajets loin, très loin des rangs et des chemins forestiers. Là où on n’entend plus le bruit des machines. À ces endroits qui sont de plus en plus rares et précieux, à l’écart des réseaux. Là où il n’y a aucune chance de se faire atteindre par le vacarme des ondes satellitaires. 

Plonger. Traverser un lac, un ruisseau, une rivière ou un fleuve à son rythme, en toute quiétude. Répondre aux oiseaux et lâcher des cris. Éviter de regarder le monde de haut, même en marchant sur la ligne de partage des eaux. Rêver à tout ce qu’il nous faudra créer pour nous ramieuter. Se faire une place au milieu des épinettes pour écouter un concert de grenouilles des marais. Tout d’un coup que ce serait le dernier… de l’été. 

Chercher des champignons comestibles du genre de ceux dont on n’a pas besoin de prendre en microdoses. Établir un campement, accueillir les journées telles qu’elles sont. Faire brûler la sauge avant l’aube. Infuser du thé des bois, par un après-midi étouffant, au milieu d’un désert forestier. Le partager avec des cueilleurs de bleuets du Guatemala ou des équipes qui reboisent le dégât des humains avec des espèces nourricières. S’étirer les bras vers tout ce qu’on ne nous permet pas d’inventer. Combler nos paniers d’amélanches en revenant du voyage. 

Dans un canot? Avec un sac à dos? Perdu du reste du monde pour tenter d’aller à la rencontre de nous-mêmes. Ne soyons pas naïfs au point de croire que ces chances de détachement s’offrent à tout le monde. Les rêveries sont cependant gratuites et peuvent, ne serait-ce qu’un instant, celui d’une pluie tropicale par exemple, nous éloigner des guerres. Le temps de pouvoir considérer le privilège que nous avons de vivre encore loin des bombes. 


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