DOMINIC RUEL
Dans ses Pensées, Blaise Pascal disait du nez de Cléopâtre que « s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé ». Il proposait ainsi que des détails apparemment anodins puissent entraîner des répercussions majeures sur l’Histoire. Sans sa beauté, la reine d’Égypte aurait exercé une influence différente sur César et Marc-Antoine, ce qui aurait changé le cours des événements. Déjà, l’Histoire est jalonnée de moments décisifs, de ces événements qui ont changé le monde de façon durable : l’invention de l’écriture, la chute de Rome, la découverte de l’Amérique, la Révolution française ou les deux guerres mondiales. Il est tentant d’imaginer un monde différent si ces événements n’avaient pas eu lieu ou encore si d’autres tournants de cette ampleur avaient eu lieu.
L’expert ou l’amateur qui s’intéresse à l’Histoire se pose d’abord les questions « Pourquoi? » et « Et puis? ». C’est un travail linéaire. Il est aussi possible de s’amuser et de demander, au conditionnel, « Qu’est ce qui serait arrivé si? ». S’ouvre alors une infinité de possibilités, de scénarios, de conséquences. Voilà l’occasion pour des auteurs et des créateurs de partir d’un événement fictif et de changer le monde.

« Uchronie », c’est le mot inventé par Charles Renouvier en 1876, qui signifie penser et écrire l’Histoire telle qu’elle aurait pu être si certains événements ne s’étaient pas produits ou avaient été remplacés par d’autres. Georges Thinès, psychologue et homme de lettres, parle « d’Histoire refaite en pensée ». Il s’agit de créer une époque fictive ou d’évoquer un imaginaire dans le temps. L’uchronie part d’un point de divergence dans le temps historique et imagine une suite, forcément différente. Cette chronique aurait pu s’intituler « La pomme de Newton », « Le fusil d’Oswald » ou « La bataille de Waterloo ». Imaginons le monde sans la découverte de la gravité au XVIIIe siècle, sans l’assassinat de JFK, sans Napoléon qui abdique…
La première uchronie est écrite par Tite-Live, dans la lointaine Antiquité. Il imagine Alexandre le Grand conquérir l’est et attaquer Rome. Un premier roman uchronique est publié en 1836 : Geoffroy-Château raconte Napoléon se sauvant du désastre de Moscou et conquérant le monde. En 1931, paraît en Angleterre une anthologie d’histoires alternatives. On peut y découvrir : Si les Maures avaient conquis l’Espagne, si Louis XVI avait eu plus de fermeté, si les sudistes avaient gagné la guerre de Sécession… Les auteurs et idéateurs se demandent régulièrement : si l’Empire romain avait continué d’exister, si Colomb n’avait pas découvert l’Amérique, si l’industrialisation du XIXe siècle avait été un échec et si (surtout!) Hitler et les nazis avaient remporté la guerre en 1945?
En juillet, je montrerai que l’uchronie stimule l’imagination et l’évasion dans le temps grâce à des romans, des séries et même des jeux. Comme si tout pouvait arriver et que les temps parallèles existaient…