LISE MILLETTE 

Avec des feuilles aux branches et des fleurs en plates-bandes, la voilà, la belle saison. 

Qui n’a pas rêvé, au temps des grandes froidures de l’hiver, de ce moment où il ferait bon se bercer dans la tiédeur de juin? Qui n’a pas eu hâte d’inscrire, au calendrier des vacances, les visites estivales annoncées? Qui n’a pas aspiré, après avoir astiqué les appâts du coffre à pêche, permis en main, de taquiner le poisson sans tarder? 

Jeune, j’aimais bien observer, dans les paniers superposés qui se présentaient en escaliers, les faux alevins de caoutchouc, les grenouilles, les souris ou les poissons articulés. À l’arrivée des beaux jours, l’ouverture du coffre à pêche représentait un moment magique. C’était une petite boîte brune qui ne payait pas de mine et qui, une fois le loquet levé et le couvercle basculé, s’ouvrait sur une multitude de vers grouillants aux couleurs variées et à la texture tout aussi intrigante qu’étrange. 

Celui de mon père était bien garni, avec de petits plombs et des hameçons de toutes les tailles, des émerillons, dont je n’ai jamais maîtrisé l’art de l’assemblage, mais dont le nom anglais me plaisait, swivel, et qu’on prononçait, la langue un peu sortie, « sssouivelle » comme une incantation qui appelle au bonheur tranquille. 

J’ai hérité de ce coffre à pêche. Il en émane encore une odeur aussi imprécise que puissante, témoignant de succès passés qui auraient laissé dans leurs sillages une forte empreinte olfactive. Cet objet, qui pourrait paraître répugnant, évoque chez moi une certaine mélancolie, un voyage temporel, un retour à une époque où j’avançais la main pour voir si j’allais me piquer sur un appât ou un tripode quelconque. 

C’est bien connu, l’enfant curieux regarde du bout des doigts. La curiosité est incompatible avec le regard contemplatif. Pourquoi observer passivement quand on peut saisir un objet pour le découvrir en détail en le manipulant, pas toujours délicatement, et souvent furtivement? Dans la hâte et la joie exaltée de déjouer l’interdit d’un « touche pas à ça », il arrive que « qui s’y frotte, s’y pique ». J’étais ce genre d’enfant. 

Une enfant qui aime d’abord le jeu et qui veut tout expérimenter pour comprendre, tout faire pour savoir, plutôt que d’attendre pour apprendre. Il me fallait passer à l’action, parce que j’étais vive d’esprit – notez que je n’ai pas dit turbulente ou agitée. 

Photographe : Lise Millette

Juin et ses promesses d’un été naissant, mais qui compte déjà derrière lui quelques belles journées de soleil plombant et de brises chaudes, des caresses au gré des fluctuations barométriques. Dans les bois, tout s’éveille aussi et les gélinottes huppées tambourinent en guise de parade nuptiale. 

La première tonte de la pelouse perturbe la quiétude ambiante, mais offre le parfum envoûtant de l’herbe fraîchement coupée. Et on se rappelle les balades à vélo et les activités des étés passés. 

Puis, quand le disque d’or glisse vers l’horizon, les soirées, sur fond d’air frais, annoncent quant à elles des nuits confortables et avancent la possibilité d’étirer le temps en formule terrasse ou au balcon. 

La fin des classes et les airs de vacances confirment que l’hiver est bien derrière nous. Déjà au jardin, le vert tendre s’affiche en présages d’autant de cucurbitacées, de crucifères, de solanacées, de fleurs et d’autres douceurs que sont les fraises, les framboises et les amélanches. Ces jeunes plants font serment d’un automne garni en victuailles. D’ici là, le mercure imposera de manger frais et léger. Que d’assurances de petits bonheurs en devenir, nés de s’être agenouillés pour semer les plaisirs de la table. 

Ainsi, se formule le souhait de défier l’espace-temps pour profiter ardemment des heures d’ensoleillement et des générosités de juin qui embrassent largement l’espoir d’un été flambant neuf dont on savourera chaque instant. Faire le plein de nature, marcher l’été un pas à la fois parce que le temps file sans pudeur ni retenue

Et pourtant le temps est bon dans les douces soirées de ce mois plein de promesses… 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.