Une enseignante, un travailleur social, et un metteur en scène qui carbure à la nouveauté : trois professions, un intérêt commun pour la scène et une amitié forgée sur les planches jusqu’à prendre racine. Les trois mousquetaires, Donald Renault, Jocelyne Beaulieu et Daniel Morin, portent littéralement la Troupe À Cœur ouvert à bout de bras en gardant le feu sacré. 

« Nous avions chacun nos carrières professionnelles parallèles », souligne Jocelyne Beaulieu qui a enseigné la musique pendant 35 ans à l’école Polyno de La Sarre. Avant de commencer officiellement avec la Troupe, en plus d’enseigner la musique, elle dirigeait la chorale des Boute-en-train de Dupuy, en Abitibi-Ouest. C’est avec la comédie musicale Demain matin, Montréal m’attend qu’a commencé leur collaboration. 

« Je connaissais Jocelyne qui m’avait enseigné la musique à la fin des années 1980, puis j’ai connu Donald. J’avais fait quelques productions dans d’autres troupes, je faisais aussi de la mise en scène. Au départ, on s’échangeait des productions. L’alliance s’est faite tout naturellement », souligne Daniel Morin. 

« Nous étions trois passionnés, trois fous de culture, trois mousquetaires », résume Donald Renault, qui préside la Troupe depuis 38 ans et qui compte maintenant une cinquantaine de productions. 

Crédit photo : Stéphane Gilbert
Crédit photo : Stéphane Gilbert

LA VIE D’ARTISTES TEINTÉE D’ENTREPRENEURIAT 

« Au départ, ou bien on était des artistes ou on faisait partie des loisirs. Nous avons été parmi les pionniers de l’entrepreneuriat culturel au début des années 1990. À la fois artistes, mais aussi entrepreneurs, avec un impact économique et touristique. Notre organisation de loisir, nous en avons fait une entreprise reconnue d’économie sociale dans le créneau culturel », insiste Donald Renault. 

Bâtir une entreprise, tout en menant des carrières professionnelles distinctes, tenait du tour de force. Lui-même travailleur social de formation, Donald Renault explique qu’il a vu le réseau de la santé vivre pas moins de six transformations au fil des ans et c’est la pandémie qui l’a sorti de sa retraite pour reprendre du service auprès du Centre intégré de santé et de services sociaux régional. Cette autre carrière s’est prolongée en quelque sorte dans les activités de la Troupe À Cœur ouvert. « J’ai amené le côté communautaire à la Troupe. Nous avons fait des projets avec les aînés et les proches aidants comme outils de soutien au niveau de la santé, ce que l’on appelle aujourd’hui la médiation culturelle, amener la culture au service des causes sociales, une série télévisée également », précise Donald Renault. 

L’esprit entrepreneurial a tôt fait d’émerger au tournant des années 1990. La Troupe, portée par des professionnels et des comédiens bénévoles, est tranquillement devenue un levier économique. « Il fallait convaincre [les gens] qu’il était possible d’éviter les silos entre l’économique, le tourisme, le social et la culture en transformant une activité de loisirs en une entreprise d’économie sociale. Cela a contribué à la réussite de grands projets pour nos créateurs et à la fierté de notre identité régionale. Selon moi, tout ça a contribué à un mouvement de valorisation de notre territoire et à la naissance de plusieurs autres d’initiatives », affirme avec conviction Donald Renault. 

C’est dans cette volonté de transmettre et de bâtir collectivement que la Troupe À Cœur ouvert a trouvé la recette de son succès et de sa longévité. « La Troupe, c’est travailler avec des professionnels, tout en ayant aussi des amateurs. Ce que j’aime, c’est enseigner, donner le goût de chanter. Pas obligé d’avoir des voix extraordinaires, tant que la personne ne fausse pas, c’est la force du groupe. J’aime faire découvrir ça aux gens, la force de l’ensemble », mentionne pour sa part Jocelyne Beaulieu. 

Crédit photo : Stéphane Gilbert
Crédit photo : Stéphane Gilbert

UN COIN DE PARADIS 

Le Paradis du Nord demeure sans contredit la réalisation phare de la Troupe À Cœur ouvert. Ce spectacle à grand déploiement réunissait sur scène de 70 à 75 comédiennes et comédiens. Le texte, de l’autrice Danielle Trottier, est une véritable fresque historique de l’Abitibi-Témiscamingue, une incursion dans l’habitation du territoire dès le début de la colonisation. « Ces années ont été des opportunités pour de nouvelles rencontres, des amitiés, le souvenir de gens qui ont réalisé un rêve en montant sur une scène », se souvient Daniel Morin, qui cherchait sans cesse à se renouveler, notamment en allant voir d’autres productions, parfois jusqu’à New York. 

Ce spectacle a été en lui-même une aventure qui aura duré sept ans, de 2005 à 2011. En tout, 126 représentations, portées par 171 comédiennes et comédiens bénévoles, ont été interprétées devant 83 202 personnes, le tout avec le concours de Jacques Marchand comme compositeur musical. 

La Troupe a présenté de grandes productions, comme Je reviens chez nous, qui prenait une touche un peu autobiographique pour Daniel Morin qui y a placé des références à son parcours, sa jeunesse et sa famille. Le spectacle Festivitas est aussi une formule qui revient, qui se peaufine et qui évolue. 

TROIS MÉDAILLES 

Jocelyne Beaulieu, Donald Renault et Daniel Morin ont reçu la médaille de la députée de l’Assemblée nationale, lors de la dernière représentation de Festivitas, le 30 décembre dernier. La mise en scène de cette remise honorifique par la députée d’Abitibi-Ouest, Suzanne Blais, avait été savamment orchestrée, à l’insu du trio qui ne se doutait de rien. 

« Nos invités spéciaux ont toujours l’opportunité de s’exprimer. Lorsque la députée Suzanne Blais a pris la parole, je ne m’attendais pas à être honoré », mentionne Daniel Morin, encore touché par cette reconnaissance qu’il a partagé avec ses deux complices. 

« C’était vraiment un élément de surprise. Geneviève Melançon, qui s’occupe des communications pour la Troupe, a fait un travail exceptionnel en nous cachant tout ça », ajoute-t-il. 

Cette distinction souligne l’action exemplaire pour le bien de la communauté, dans ce cas-ci, dans le domaine culturel. « C’est aussi pour nous une belle marque de reconnaissance, parce que nous avons contribué à donner une vie culturelle dans notre coin à nous, en Abitibi-Ouest, de pouvoir assister, ici, à ce type de production à grand déploiement », souligne Jocelyne Beaulieu. Elle confie qu’elle visionne, souvent après des années, les vidéos des productions réalisées. « C’est drôle, mais quand je regarde ce que nous avons fait, je me dis “Mon Dieu, ça n’a pas de sens.” On ne se rendait pas compte du côté grandiose de la chose. » 

Crédit photo : Stéphane Gilbert

ET LA SUITE? 

« C’est la grande question. Pour le moment, être satisfaits, avoir du plaisir toujours même si on sait qu’on a plus la santé de nos 20 ans… », indique Donald Renault. 

« Le feu sacré est toujours là. J’ai encore des idées et l’envie de faire des projets, mais nous sommes réalistes, on est aussi rendu à un point où on commence à compter les dodos », reconnaît Daniel Morin. 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.