Chaque année, on sait qu’elle viendra. Quand? Jamais pareil, mais on sait que s’installeront, un à un, les flocons en forme d’étoile, fondants, bien givrés, à la pelletée, pour une heure ou pour un jour ou pour des mois durant, mais en fin de compte, toujours éphémères.
C’est la manifestation d’un phénomène physique dans sa plus simple expression. L’eau qui change de l’état liquide à l’état solide par l’abaissement des températures. Tout simple. Ça se produit chaque fois et pourtant, lorsqu’à la fenêtre je vois tournoyer pour la première fois de la froide saison, quelques flocons épars, incertains, furtifs, une profonde joie me transporte.
Il neige!
Comme un ouvrier de pont qui pointerait la terre ferme après une traversée qui semble avoir des airs d’éternité. L’œil qui se plisse, le visage qui fixe l’horizon, puis voyant émerger comme une masse encore diffuse le début d’une côte, l’homme tendrait le bras, l’index dressé en s’écriant « Terre! » au terme d’une longue traversée, de jours et de nuits à balloter sur l’eau. « Terre! », enfin.
Voir la neige, la première de l’hiver, sans penser à celle de février ou mars, lorsqu’on l’aura assez vue. Voir la neige comme un poème qui descend des nuages, comme un petit point blanc tout gelé qui s’est échappé, comme hypnotisé par la course lente sans trajectoire définie. Voir la neige, comme une couche immaculée, blanche de promesse, gage de lumière le soir tombé pour rendre la nuit moins noire.
L’émerveillement m’est inné. Chaque année, invariablement, j’ai cet élan du cœur au moment de voir tomber la neige. Un attendrissement impossible à contenir. Cette année, j’ai toutefois eu pour réflexion, « Et si cette première était vraiment une première fois? » J’ai eu cette pensée alors que certaines personnes, nouvellement arrivées au pays, la verront elles aussi pour une première fois et vivront du même coup un moment bien particulier de leur intégration au pays de l’hiver.
Une amie a été témoin de ce type de scène. « C’est la première fois que je vois de la neige! », dit-elle avoir entendu. Sans plus attendre, elle est sortie de sa voiture, a façonné en vitesse une boule de neige et l’a lancée en direction d’un souriant Sénégalais qui découvrait à la fois la beauté et le plaisir du tapis blanc.
Pendant que ce nouvel enraciné découvre l’hiver naissant, je ne peux m’empêcher de penser que ce n’est qu’une petite molécule figée qui a permis à ces deux personnes d’entrer en relation. Le temps d’un « geste de bienvenue » à la mode québécoise.
J’en reviens à mon petit flocon en fuite… et il me vient à penser à la puissance d’une goutte d’eau de l’océan, qui suspend tout le reste.
Comme autant de colibris qui s’agitent ou autant de battements d’ailes de papillons, j’ose croire en une pause le temps que se termine la course. Comme il en faudrait des flocons pour imposer au monde une pause.
Cela étant, on peut douter que chaque petit geste compte, mais je préfère, quant à moi, penser qu’ils se cumulent tous.