Il arrive qu’en début d’année, les résolutions figurent au menu des bonnes intentions. Couronnées de succès ou d’échec, ces clauses de conscience ou d’engagement personnel sombrent parfois dans l’oubli. Aussi, plutôt que de risquer d’en perdre la trace, j’ai cette fois choisi d’enchâsser ces aspirations dans une fable… 

Ainsi, le castor qui avait trimé tout l’été précédent, filait, sous la neige et la glace, des jours tranquilles, épuisant ses réserves de graisse et de bois stockés au cours des derniers mois. Dehors, revêtant son manteau blanc, la belette effectuait quelques rondes de reconnaissance, par temps doux, entrecoupées de périodes de repos, à l’abri du froid. Curieuse, elle s’assurait d’inspecter les lieux et, février venu, elle épiait la marmotte pour l’entendre prédire si le printemps serait hâtif ou pas. 

Manifestement, il lui faudrait attendre un peu pour retrouver la belle saison et le foisonnement des gens. L’hiver la belette devait avoir une dose de courage, le flair des occasions et la vélocité d’un ventre vide pour trouver de quoi se mettre sous la dent. Vivement les rayons du soleil plus chauds qui feraient sortir de leurs abris les proies qui auraient grandi en nombre avec les naissances de la saison froide. Oui, la nature est cruelle… ceux qui osent une première sortie ne font parfois que quelques tours avant d’assurer le tour de taille des autres qui s’en régalent. 

Pendant que la belette songeait aux banquets de délices jeunes et tendres, vautré contre sa progéniture de l’année précédente et de la demi-douzaine de rejetons qui s’ajouteraient très bientôt, le père castor profitait du confort de sa hutte, de ses réserves de graisse et d’écorces de tremble et d’aulne qui constituaient son barrage et son amas de réserve d’hiver. 

Au printemps, entre lacs et marais, il allait se faire les dents sur des écorces fraîches de tremble et se remplir plus tard la panse de plantes aquatiques… tout en travaillant à son prochain projet architectural de digue de nouvelle génération! Procédé qui fascinait la dame belette qui, de la rive, observait son manège depuis quelques années déjà. 

Tranquille, postée en position de guet, la belette regardait le castor manœuvrer, lui et sa colonie. Au moindre bruit suspect, elle disparaissait dans un petit orifice au sol ou dans un arbre creux, et une fois la menace écartée, elle reprenait son poste, curieuse et intéressée. 

Elle avait appris, par les branches, que des hommes avaient désigné le castor comme était le meilleur allié contre les feux de forêt en raison de ses bassins de rétention qui devenaient des barrières, voire des frontières, freinant la progression des flammes. Un matin, alors que le rongeur aux dents jaunies cassait l’écorce par un soleil radieux, la belette s’était posée sur une souche à proximité. 

Dites donc, ça ne vous épuise pas de tailler comme ça des arbres entiers? 
On se lasse des herbes, parfois, il faut quelque chose de plus soutenant. 
Et pour le barrage? Ça ne vous fatigue pas d’en construire chaque année? Il me semble que l’an passé, vous aviez fait celui sur la crête un peu plus loin. 
Oui, mais il fallait un pour les plus vieux qui ont quitté la hutte.
Savez-vous qu’on vous présente comme l’allié des hommes? 
Ça ne les empêche pas de toujours vouloir ma peau, dit-il, continuant méthodiquement de ronger un tronc fort entaillé. 

Le castor était inébranlable et menait ses affaires rondement. Nerveuse, la belette ne tenait pas en place. Opportuniste, elle allait et venait au gré des occasions. 

Vous ne trouvez pas que ça sent le roussi depuis quelques jours?
Ah le roussi, vous savez, quand on plonge, on l’oublie! 

Le roussi, c’était ce qui avait décidé la belette à sortir de son isolement l’été dernier. L’odeur de fumée planait sur les marais et bien au-delà. 

Le feu… on ne se sait jamais où s’arrêtera son appétit. Elle avait donc décidé d’établir ses quartiers permanents près du barrage du castor, se disant que si jamais les flammes venaient à s’approcher, elle plongerait dans l’eau et, ainsi, n’aurait pas à aller trop loin pour se réfugier, sur une digue, le temps que les choses se tassent. Elle n’était pas seule à avoir adopter pareille stratégie. D’autres espèces, certaines plus intéressantes d’ailleurs pour son régime alimentaire que d’autres, avaient aussi opté pour de nouveaux quartiers. 

C’était l’été dernier. Pour le moment, l’hiver était là et la belette faisait le guet. Elle marchait sur le haut de la hutte recouverte de neige. Tout était bien figé autour. Elle regardait l’amas de branches. 

Il doit y en avoir du monde là-dedans. J’étoufferais moi. Je préfère encore la vie en solitaire. 

Et alors que ses réflexions suivaient leur cours et que la belette était absorbée en visualisant les castors empilés les uns sur les autres, elle ne vit pas se profiler l’ombre qui planait. Elle n’entendit pas non plus l’air sous les ailes du rapace qui l’empoigna dans ses serres. Elle ne verrait pas le printemps non plus. 

Ainsi, un peu de tranquillité c’est bien, mais le nombre assure la survie.


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.