Les forts vents, la pluie et le froid ont effacé les couleurs des feuillus. Les forêts, celles que nous fréquentons ici, empruntent le ton grisâtre des nuages. C’est normal, c’est l’automne. Les mélèzes jaunissent, puis perdront leurs aiguilles. Seuls les autres résineux demeureront verts. Arrivera bientôt, on ne sait maintenant plus trop quand, la neige, sur laquelle s’inscrira la prochaine saison. Ces lignes se tracent le 16 octobre 2023.
Je peux bien décrire ce que je crois voir, mais les saisons s’écrivent sans moi. Sans nous. Nos activités bouleversent le cycle des saisons, mais nous ne dicterons jamais quoi que ce soit à la nature. Nous sommes de passage, plus brièvement que n’importe quelle forêt d’épinettes, et bien plus vulnérables que Dame Nature aux éléments. Il ne devrait jamais y avoir de gêne à être humble et à se sentir bien impuissant.
Soudain, une grêle de roquettes, venues d’un endroit que la majorité ne connaît pas, s’abat sur un pays connu, mais que peu d’entre nous placeraient sur une carte. Des quatre roues, des motos, des canots, des drones envahissent un territoire. Des images d’une traque inhumaine, d’une boucherie inqualifiable et de prises d’otages assaillent les réseaux sociaux, puis les bulletins d’information.
Rien de comparable aux photos des trophées de chasse qui s’invitent sur nos paisibles et tranquilles pages… Parce qu’ici, oui, on a la paix.
On a aussi de l’eau, de la nourriture, des médicaments, de l’électricité, des hôpitaux, et nos ambulances ne sont pas des cibles mouvantes. On vit sur un immense territoire qui n’a rien d’une prison à ciel ouvert. Pas de coupures de gaz ou de pétrole. Pas de tracts lancés des airs pour nous ordonner de quitter notre ville. Pas d’avions qui lâchent des bombes. Pas de morts, pas de blessés, pas de pleurs, pas de cris, pas de feux nourris. Pas de tanks ni de soldats qui donnent l’assaut. Personne n’est coincé entre deux camps.
Un embrasement pire que n’importe quel incendie de forêt. Vais-je prendre parti? Un poète et soldat révolutionnaire, rencontré au Nicaragua, m’a dit un jour que, pour lui, la guerre se résume à trois choses : pena, sangre y muerte, soit la peine, le sang et la mort, ce à quoi nous assistons en direct. Je n’ai de cesse de penser aux populations sans défense. Assaillies par une des plus puissantes armées du monde. Tous ces êtres humains, uniquement coupables d’être vivants. Ça, ce n’est pas normal…
Sans mots, je laisse ceux d’Albert Camus terminer cette chronique : « La paix est le seul combat qui vaille d’être mené. Ce n’est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l’ordre de choisir définitivement entre l’enfer et la raison. »