Installée près d’un lac, je regarde le soleil qui se vautre dans une pellicule d’ocre posée sur un édredon voilé de poussières de feux. Mégarde de promeneurs, étincelles malheureuses d’une manœuvre mécanique ou foudre tombée sur une poudrière asséchée de nos forêts nordiques en manque de pluie : les causes des feux sont multiples
La brise douce, devant l’horizon semé d’îles et de vallons qui s’évaporent dans un panorama flouté, se fait tout de même apaisante. Difficile de ne pas ponctuellement penser que ça brûle – ou que différents espaces ont été consumés – et pourtant, ça chante au crépuscule et les portées du printemps suivent au fil de l’eau une mère cane qui prend ses distances de l’humain. Est-ce que ce sont ces petites choses que l’on peut nommer résilience?
La Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) rapportait en juin que, déjà, la superficie de forêt détruite par les incendies était la plus importante des 50 dernières années. Plus d’un million d’hectares avalés par les feux, c’est tragiquement colossal. Inévitablement, notre territoire de lacs et de forêts sera scarifié et mettra du temps à se régénérer.
LES GRANDS FEUX DE NOTRE HISTOIRE
La colonisation a été à l’origine de nombreux incendies. Pour certains prospecteurs, la forêt constituait un ennemi et le feu, un allié pour le défrichement. Certains lots de colonisation ont été délibérément sacrifiés aux flammes ou alors le brûlage des abattis – souvent hors contrôle – a fait en sorte de générer nombre de menaces.
Il y a déjà 100 ans, ce qu’on appelait « Le grand feu » s’est propagé de Haileybury jusqu’à Nédélec. Les témoignages mentionnent que des civils ont pris refuge dans l’eau du lac Témiscamingue et que, à Nédélec, c’est dans l’église que la population s’est réfugiée.
La Forêt d’enseignement et de recherche du lac Duparquet a produit une carte des feux. Dans les 400 dernières années, les marques sur les arbres et les cycles de régénération permettent d’affirmer que près de 82 feux ont déferlé, certains plus vastes que d’autres en matière de superficie, notamment ceux de 1717 et de 1760. Sur les 135 îles du lac Duparquet, certains vieux arbres se posent en fiers résistants. « Nous avons vu passer le feu et nous sommes encore debout. »
Le feu meurtrier de 1916 à Matheson a servi d’inspiration à Jocelyne Saucier pour son roman Il pleuvait des oiseaux.
Ces incendies ont anéanti plusieurs efforts des premiers occupants qui n’avaient que peu de moyens autres que des seaux et la fuite. Pas de boyaux à haute pression, pas d’avions-citernes, pas d’hélicoptères réquisitionnés et pas d’alliés de diverses provinces ou d’autres pays pour venir au renfort.
C’est dire, les forces de combat ont été décuplées, mais la force de l’élément surpasse l’humain.
MARÉE DE BUISSONS ARDENTS
Sous les cendres d’une certaine désolation couvent les braises d’une revégétalisation, mais aussi d’une possible prise de conscience de l’immensité fragile du territoire. Ces cimes que l’on croyait acquises au point d’en faire des emblèmes immortels peuvent tomber sous la fatalité des forces de la nature. Un respect doit en émerger, un amour aussi.
Alors, malgré ce ciel voilé de notre été, ne laissons pas filer les beaux jours.
Il suffira peut-être de trouver un point de vue d’un rivage, de regarder le temps filer au fil de l’eau et de voir le soleil s’enrouler dans sa couverture d’ocre pour croire encore en la belle saison.
En somme, il nous faut savourer l’été chez nous, avant qu’un autre édredon, de froidure et de givre, ne vienne couvrir les songes de nos douces nuits étoilées.