ANDRÉANE GARANT, ADMINISTRATRICE AU CONSEIL RÉGIONAL DE L’ENVIRONNEMENT DE L’ABITIBI-TÉMISCAMINGUE (CREAT)
Trapper, chasser, pêcher : des pratiques qui font partie de mon histoire de vie, de ma culture et de mon instinct, comme pour bien des gens de la région. Depuis que je marche, je sillonne la forêt avec mon père à la recherche de petit gibier. Dès que j’ai eu l’âge de chasser, il m’a appris à utiliser une arme et à viser juste pour atteindre ma cible. Depuis toujours, il m’enseigne toutes les connaissances acquises, année après année, sur l’habitat, les habitudes et les techniques de chasse, de trappe et de pêche pour chaque animal. En grandissant, j’ai développé mon flair, j’ai affiné les techniques de mon père et j’ai intégré les règles du bon trappeur, selon lui : ramasser les moindres déchets produits, retirer tous les pièges sans exception, ne pas tirer si on n’est pas certain d’atteindre la cible et installer un piège adéquatement pour éviter les prises accidentelles ou non mortelles.
Comme tout enfant, j’ai grandi. À 18 ans, je suis partie avec mon bagage et mon amour pour la nature étudier l’écologie à l’Université de Sherbrooke. Là-bas, mon esprit s’est ouvert à une réalité choquante, soit l’impact important que nous, les êtres humains, avons sur notre environnement. Partout et en tout temps, nous influençons la qualité de l’eau, de l’air, des habitats; la survie des autres êtres vivants; leur reproduction, etc. À l’université, j’ai aussi commencé à réévaluer mes habitudes de consommation et mon impact individuel sur l’environnement. Là-bas, j’ai remis en question mes pratiques culturelles. Alors qu’on a des impacts de toutes les façons possibles sur les animaux sauvages, est-ce que je veux en plus les trapper, les chasser et les pêcher? Je me suis dit, pour me rassurer, qu’on exerce un contrôle des populations, qu’on mange des animaux qui ont vécu une belle vie de liberté en comparaison au bétail d’élevage, qu’il est naturel et instinctif que l’humain soit un prédateur et qu’il chasse son gibier. Malgré toutes ces raisons, le doute persiste en moi.
En grandissant, je suis devenue plus consciente des répercussions de mes gestes et je me suis mise à me poser plus de questions. J’hésite maintenant à l’idée d’enlever la vie à quelque animal que ce soit. Quand tu vois un renard mort entortillé dans un collet; quand tu vois la perdrix inerte dans tes mains; quand tu vois l’animal vivant un instant et mort l’instant d’après, il y a de quoi choquer les esprits et hésiter. Même si la mort sert à se nourrir; même si ça s’est passé rapidement et dans le respect de l’animal; même si ça fait partie de sa culture, de son instinct. Rien n’empêche cette hésitation de régner chaque fois que je suis responsable de la perte d’une vie.
Revenue sur le territoire abitibien pour les vacances, j’ai annoncé à mon père que toutes ces pratiques étaient terminées pour moi, que je l’accompagnerais en raquettes, mais que je ne m’impliquerais pas dans l’installation de pièges; que j’irais marcher avec lui, mais que je ne porterais pas d’arme; que j’irais en bateau, mais que je ne mettrais pas de ligne à l’eau. Avec tout l’amour d’un papa pour son enfant, celui-ci a bien accueilli et respecté ma position, sans essayer de me convaincre de changer de perspective. J’étais certaine que je me sentirais mieux ensuite, et que le doute ne serait plus. Mais non. Ma culture, mon histoire de vie et mon instinct reviennent me visiter et me font douter de mon choix. J’ai le sentiment d’avoir mis de côté une partie de moi, d’avoir brisé la transmission des connaissances traditionnelles et de m’être déconnectée de mon instinct de chasseuse.
Qu’en est-il vraiment? Si toutes les personnes qui adoptent la chasse, la trappe et la pêche aujourd’hui prenaient la décision de mettre de côté ces pratiques culturelles, est-ce que la nature s’en porterait mieux? Quel serait l’impact de la perte de ces connaissances ancestrales?