Il est né tout près de la rivière Harricana et y a grandi jusqu’à ce qu’il fasse son entrée au pensionnat de Saint-Marc-de-Figuery et qu’on lui donne ce nom qui est devenu son identité usuelle depuis : Richard Kistabish. Il est pourtant né Ejinagosi, qui signifie « celui qui raconte » dans la langue de la Première Nation Abitibiwinni. « Richard Kistabish, c’est un nom que j’ai appris à connaître », dit-il, précisant qu’il attend encore les papiers pour officialiser un changement de nom qui lui redonnera son identité nominale. « Retrouver nos noms est un geste de démonstration de la réappropriation de nos langues », ajoute-t-il.
Pendant sa décennie passée au pensionnat, Richard Kistabish a vu naître une flamme intérieure, nourrie par l’interdiction de parler sa langue et alimentée ensuite par les réalités de la vie dans les communautés. « Ce n’est pas ce genre de vie là que voulaient nos ancêtres, comme il n’est pas normal de nous interdire de parler nos langues. »
Au fil des ans, avec sa longue chevelure ondulée, aujourd’hui grise, son visage arrondi et son regard qui semble voir bien plus loin que l’horizon, il fait office de porte-parole, d’ambassadeur et de référence. Non seulement, il raconte, mais il a vécu, et aujourd’hui, il exerce une influence dans les hautes sphères décisionnelles, et ce, jusqu’aux Nations Unies.
Il a d’ailleurs été reconduit comme représentant de l’Amérique du Nord pour le Groupe de travail mondial pour la Décennie des langues autochtones. Le mandat de ce groupe est de réfléchir aux enjeux de revitalisation et de conservation des langues autochtones, sous l’égide de l’UNESCO. Comment Richard Kistabish a-t-il été choisi pour siéger au sein de ce groupe qui peut réunir jusqu’à 150 délégués lors des rencontres? « Je n’en ai pas la moindre idée », lance-t-il avec humilité. Il reconnaît néanmoins avoir participé à différents panels et avoir donné à plusieurs reprises des conférences sur la question de la sauvegarde des langues autochtones.
L’exposition NIN, présentée à Paris en avril dernier, a aussi été remarquée et a permis une fois de plus à Ejinagosi de raconter l’importance des langues des Premières Nations. C’est l’organisme Minwashin, qui s’est donné pour mission de créer des ponts entre les communautés et pour lequel il agit comme président, qui avait tiré les ficelles de ce projet audacieux.
« La langue c’est celle qu’on parle, mais aussi celle des arts, celle de la culture. J’aimerais que nos artistes soient plus visibles. Ils n’ont pas tous accès, par exemple, aux lieux d’exposition. C’est ce qui me donne l’énergie de continuer. C’est lent. On a ce poids psychologique qui nous empêche d’être fiers et qu’il faut développer pour instaurer la dignité. »
Richard Ejinagosi Kistabish est aujourd’hui âgé de 73 ans, mais il ne voit pas venir le moment de s’arrêter. Pour l’ancien chef de la Première Nation Abitibiwinni, ancien grand chef du Conseil tribal de la nation algonquine Anishinabeg, impliqué auprès de la communauté de Kitcisakik, investi auprès des siens, représentant à différents paliers pour donner une voix au territoire, l’heure n’est pas venue de se taire. « Mieux vaut des projets beaux et petits que gros et laids », répète-t-il, affirmant que souvent, les petits gestes, accumulés, portent plus loin que les grandes actions qui manquent de sens.
Et des projets, il en a encore plusieurs en tête…