Pour ce numéro de mai, L’Indice bohémien consacre un cahier spécial aux inspirations d’artistes. J’ai pensé, à tort, qu’il serait facile de trouver un angle éditorial pour parler d’inspiration. J’ai ouvert le dictionnaire, parcouru Wikipédia. La seule illumination que j’en ai tirée, c’est qu’il y a sans doute un parallèle à faire entre l’action de faire entrer de l’air dans nos poumons et celle de faire germer une idée dans notre esprit. Quelque chose qui relève du besoin vital.

J’ai souvent entendu la question, « Toi, quand as-tu décidé d’être une artiste? » Je pense qu’on ne choisit pas plus d’être roux ou frisé qu’on choisit d’être artiste. Ce qui détermine cette condition est sans doute une forme de sensibilité au monde, une perception accrue des signes lisibles de toutes les manifestations du vivant. Pour certains, cette sensibilité est un cadeau; pour d’autres, un fardeau. Avoir les yeux ouverts n’est pas toujours facile. Nous tentons dans tous les cas d’en faire quelque chose. Parfois, la personne devient soignante, chercheuse, philosophe; parfois, elle devient artiste.

Tous les créateurs ne sont pas des artistes, mais tous les artistes sont des créateurs. Ils sont des êtres habités de désir. Désir comme dans appétit, attirance, curiosité, intention, soif, volonté, ardeur, besoin. Le désir est le contraire de l’indifférence. Il se manifeste à travers des actes nouveaux qui sont des tentatives de trouver un écho à une vibration intérieure. L’acte de créer se soustrait aux formes de contrôle extérieur; il est fondamentalement libre. De ce fait, l’artiste est souvent mal compris.

La création est le résultat d’une pulsion de transformation. L’artiste traduit le langage que le monde lui chuchote à l’oreille et qu’il est le seul à comprendre. Qu’elle prenne sa source dans le quotidien, le territoire, la contemplation, le besoin de remettre en question, l’indignation ou les mystères de la science, l’inspiration est comme une porte qui s’ouvre momentanément sur un univers parallèle et qui donne des clés pour le comprendre. L’artiste tente alors à sa façon de communiquer ce qu’il vient d’entendre et de percevoir, de partager sa vision. L’art n’est pas une question de beauté ou d’utilité. L’art est un dialogue.

L’acte créateur prend sa source dans une inspiration. C’est un souffle qui pousse l’être humain à tenter quelque chose plutôt que rien. Dans l’objectif naïf de rejoindre un potentiel public, ou du moins un interlocuteur, l’artiste inspiré fait une proposition. Comme public, il nous arrive souvent de nous trouver devant une œuvre qui nous parle. Ou pas. Que ce soit parce que nous n’en avons pas les codes, parce que nous essayons de rationaliser une œuvre destinée à être ressentie, parce que le message ne trouve pas en nous l’écho souhaité, la connexion entre un artiste et son public demeure parfois mystérieuse. Certaines œuvres ont dû patienter longtemps avant de toucher leur cible. Elles n’en étaient pas moins pertinentes, malchanceuses peut-être d’être nées à la mauvaise époque. Et quand elle a lieu, cette connexion devient un puissant liant. Elle génère des émotions. La communication se complète, le désir s’assouvit. Alors l’artiste est moins seul, et l’interlocuteur aussi.

Comme l’été lorsque les fenêtres sont grandes ouvertes et que le vent s’engouffre dans la maison, charriant odeurs et bruits du dehors, l’inspiration est parfois généreuse. Parfois, l’hiver nous oblige à nous encabaner pour nous protéger du froid, alors le monde se rétrécit comme la lumière du jour et l’artiste hiberne pour un temps. Il ne fait pas rien, il prend soin de respecter les cycles qui le bercent. Il laisse mijoter au fond de son esprit les sons, les images, les concepts ou les parfums emmagasinés dans sa mémoire. Il fait des provisions; il établit des liens; il laisse mûrir. C’est la période de dormance, et elle est nécessaire.

L’inspiration n’offre aucune garantie, sinon celle d’être le carburant qui propulse vers l’avant. Le plus grand défi pour un artiste est de réussir à trouver assez de silence et d’espace mental pour entendre la voix qui est la sienne; de se débarrasser des attentes et des modes, des peurs d’échouer et des pièges de prendre deux fois le même chemin. Créer demande le courage d’être seul avec sa conviction et la détermination pour mener plus loin ce que l’instinct a déposé au seuil de la porte. Comme dirait l’ami Alexandre, il faut savoir déplier son idée, la questionner, la retourner dans tous les sens, la projeter dans l’espace des possibles et lui permettre de prendre son envol. C’est souvent là que le véritable travail de l’artiste commence, à la jonction qui permet d’avancer sur le sentier excitant de l’inconnu.


Auteur/trice