Bien qu’elle se soit taillé une place de choix dans le paysage artistique de Rouyn-Noranda, Julie Mercier demeure fortement attachée à l’Abitibi-Ouest où elle est née et a grandi, au nord du nord, dans le petit village de Saint-Vital-de-Clermont. C’est là où, apprenant à s’interroger sur tout ce qui l’entoure, elle a aussi appris à dessiner, à jouer et à chanter, notamment au contact de sa grand-mère Liliane Perreault, fondatrice de l’École de musique d’Abitibi-Ouest, qui lui aura inculqué sa passion de la musique.

Nous nous sommes entretenus avec cette artiste multidisciplinaire, tantôt peintre, tantôt actrice… et dernièrement musicienne, dont le talent multicolore a encore beaucoup à livrer!

ET ON DÉJEUNE

Le groupe Et on déjeune, au sein duquel Julie joue du mélodica et évolue à titre de chanteuse et principale parolière, existait à peine il y a un an. Les cinq femmes qui le composent avancent maintenant rapidement. Gagnantes du FRIMAT 2021, elles étaient artistes en résidence à l’Agora des Arts de Rouyn-Noranda l’année dernière et se sont produites à cinq reprises déjà devant des salles enthousiastes. Leur premier morceau, Marco, transposé dans un très beau clip réalisé par le Collectif Omega, a aussi bien fait parler de lui depuis sa sortie en octobre dernier. Tournée justement à Saint-Vital-de-Clermont, le village natal de Julie, la vidéo met magnifiquement en valeur la première pièce folk du groupe, ou peut-être devrait-on dire oestro-prog alt-indie pour être exact!

Bientôt de retour pour un sixième concert aux côtés des Shirley le 15 avril prochain au Petit Théâtre du Vieux Noranda, la formation Et on déjeune travaille présentement à terminer son premier microalbum (EP) qui devrait sortir cette année. Grâce à une campagne de sociofinancement au succès retentissant, le groupe a choisi de faire l’enregistrement à Rapide-Danseur, dans le réputé studio de Sébastien Greffard, appelé La Shed. Pour faire patienter les admiratrices et admirateurs d’ici la sortie, un nouveau clip est en route pour le 8 avril. Imaginé cette fois par Julie elle-même, et coréalisé au côté d’Adama Productions, il promet de nous amener à l’intérieur de sa pratique artistique très personnelle.

L’EXPLORATION

La réaffectation (repurposing) consiste à trouver de nouveaux usages aux objets et aux matériaux. C’est l’un des principaux angles de l’exploration de Julie Mercier. Elle peint la plupart du temps sur des toiles, pour lesquelles elle confectionne elle-même des cadres, mais quelquefois aussi sur des matériaux plus inhabituels, sur le tulle, par exemple, cette sorte de petit grillage fin qu’elle exploite pour sa transparence, ou même sur une catalogne. Sa composition graphique souvent très exploratoire est toujours bien soutenue par un dessin maitrisé et une main un peu impressionniste. Elle aime les rapprochements étonnants et s’amuse à télescoper sur une même toile plusieurs scènes qui ont, à première vue du moins, peu en commun. Elle tire, par exemple, d’un vieux magazine National Geographic la photo d’un village côtier d’Alaska, contre lequel elle imagine une attaque soudaine de crabes géants sur la plage, vers où accourt gaiement un chien. Quelque chose d’automatiste habite sa pratique. Son œuvre laisse survenir l’imprévisible, l’accidentel.

Se penchant sur la question du dévoilement et de la dissimulation, elle a dernièrement commencé à se filmer elle-même en train d’être entreposée comme un meuble sous une toile, cherchant à voir les effets étonnants qu’elle peut en tirer. Elle projette présenter de nouveaux tableaux cette année encore, qu’elle fera peut-être dans cette veine…

Encore, ce ne sont là que deux des volets de son art.

Les adeptes de théâtre se rappelleront l’avoir vue dans le vaudeville Boeing Boeing en 2019ou avoir été plongés dans l’ambiance dépouillée de sa scénographie dans le Cœur sacré de Jeanne-Mance.Les spectateurs du Cirque des frères Collini eux, ont pu l’entendre chanter en clôture de cet impressionnant divertissement et les adeptes d’art, admirer ses toiles à l’occasion de deux expositions à la galerie Rock Lamothe. Il y a même sa petite boîte étrange, composée de tout ce qu’on trouve au sol en faisant le ménage de son atelier, qui a été exposée, affublée d’un mode d’emploi et d’une démonstration vidéo, à la Biennale Internationale d’Art Miniature de Ville-Marie!

DIRECTIONS MULTIPLES

À l’image de sa pratique personnelle qui ne manque pas d’étonner, la carrière de Julie Mercier prend des directions multiples et l’amène bien souvent où on ne l’attendait pas. Théâtre, peinture, sculpture, musique, métiers du cirque, improvisation, scénographie, elle sait porter bien des chapeaux. À travers cette diversité impressionnante de réalisations se dessine pourtant une ligne conductrice. Il s’agit, le plus souvent, de faire émerger une interrogation sur l’absurdité du monde.

Dans la juxtaposition du dissemblable, dans la rencontre entre une page du National Geographic et une femme qui saute à la corde à danser au-dessus d’un lit de clous, survient un inconfort qui nous invite à tout revoir sous un jour nouveau. Les menus objets que l’on oublie au fond de nos poches (trombones, poussière et petite monnaie) n’attendent plus qu’un mode d’emploi pour nous faire découvrir leur véritable nature.

Le monde est souvent étroit, nous dit-elle, mais l’art, lui, ne l’est jamais.


Auteur/trice

Originaire de Rouyn-Noranda, Jean-Lou David est rédacteur professionnel pour plusieurs organismes régionaux. Diplômé en littérature, il se passionne pour l'histoire, particulièrement celle de notre région, mais aussi pour l'histoire religieuse et celle des peuples autochtones canadiens. Il est également apprenti écrivain. Lauréat du Prix du Jeune Écrivain 2020 et du Prix littéraire de l'Abitibi-Témiscamingue 2021, il a figuré sur la liste préliminaire du Prix de la création Radio-Canada Poésie en 2021.