Édith Laperrière fait partie d’un groupe de six artistes ayant réalisé le projet L’art imprimé- l’art public avec l’Atelier Les Mille Feuilles. Sa démarche consiste à sortir l’art des cadres qui lui donnent traditionnellement sa légitimité pour l’amener à la rencontre du public. Elle s’inscrit résolument dans une perspective de démocratisation de l’art et constitue une réponse à la crise sanitaire. L’artiste est en exposition à la galerie Rock Lamothe à partir de cette première semaine d’août.

Le questionnaire

F. A: Dans ta collaboration au projet L’art imprimé – l’art public, tu proposes au public de faire des rencontres inattendues avec l’art. À quelle réaction t’attends-tu de sa part?

É. L: Mon objectif était d’exposer des œuvres dans des lieux surprenants. C’était mon défi dans le cadre de ce projet de sortir des endroits où on expose traditionnellement. J’ai imprimé des petites œuvres et j’ai écrit un petit mot derrière chacune. Au total, il y en a une cinquantaine et elles sont au format carte postale. C’est un format facile à encadrer et facile à emporter chez soi. Les gens peuvent prendre l’œuvre et l’apporter chez eux. Ils peuvent aussi intervenir sur l’œuvre pour qu’il y ait un dialogue. Je laisse carte blanche aux gens pour qu’ils se laissent porter par l’œuvre. Je n’ai pas vraiment d’attente si ce n’est de recevoir une petite trace que la personne qui a pris l’œuvre peut m’envoyer par courriel. Donc la personne qui prend une œuvre peut intervenir dessus à sa façon pour la modifier, la transformer, etc. puis, elle m’envoie une petite photo par courriel afin que je puisse voir comment l’œuvre a évolué.

F. A: Quel sens le processus créatif prend-il pour toi dans le contexte actuel?

É. L: J’ai beaucoup réfléchi sur l’accessibilité aux arts. Ce qui se passe en ce moment complexifie la visibilité des arts. Je me suis dit que l’été 2020 n’est pas nécessairement une période où les gens vont aller dans une salle d’exposition pour voir des œuvres. Mais ça pourrait être agréable de tomber sur une œuvre dans un lieu inusité.

F. A: Comment le public doit-il voir les centres d’exposition, les musées?

É. L: Il faut des lieux dédiés aux arts pour favoriser la rencontre entre le public et les œuvres. Mais je crois que les artistes doivent être créatifs aussi pour aller s’immiscer dans la vie quotidienne des gens et les surprendre. Par exemple, il y a une belle initiative à Ville-Marie avec Le Rift. Il s’agit d’un projet d’art public où on demande à des artistes d’intervenir dans des lieux publics à Ville-Marie. Ça sort l’art des lieux dédiés aux expositions. Il peut y avoir de fort belles rencontres entre le public et les arts au détour d’un carrefour, à des endroits complètement inattendus.

F. A: Tu revendiques un ancrage dans la ruralité. Est-ce que ça donne une vision privilégiée de ce qui se passe ?

É. L: On voit qu’il y une grande solidarité dans les petits milieux. C’est ce que j’ai perçu. Je trouve qu’il y avait un bel esprit d’entraide dans la communauté. Notre faible densité de population nous donne un avantage aussi. Ça a un impact sur la qualité de vie et sur la sécurité des gens. Contrairement aux grands centres.

F. A: Comment as-tu vécu le confinement personnellement?

É. L: C’était spécial. Je suis directrice de la Maison des jeunes, donc je n’ai pas arrêté de travailler. Il a fallu adapter nos services pour offrir des animations en ligne aux jeunes. Mais j’ai essayé de profiter du ralentissement pour faire de la création. Dans les premières semaines, c’était complètement chaotique. Je commandais du matériel non disponible dans la région en ligne, il a fallu un mois pour une livraison d’encre par exemple. Pendant ce temps-là, je préparais de nouveaux projets. Je m’inspire beaucoup de l’architecture du milieu rural. J’allais donc prendre des photos en auto pour trouver de nouveaux sites. J’ai beaucoup travaillé aussi sur la gravure sur cuivre. C’est une technique qui consiste à graver une plaque de cuivre avec un outil qui s’appelle la pointe sèche. Ensuite, on imprime cette gravure-là avec de l’encre et on la met sous presse et le résultat, c’est l’œuvre imprimée sur papier. J’avais des restants de plaques de cuivre et de plexiglass. J’ai donc travaillé là-dessus. C’est un travail très différent de la sérigraphie que je fais habituellement. J’ai une exposition qui commence la semaine prochaine à la galerie Rock Lamothe. C’est le résultat du travail que j’ai effectué pendant la pandémie. Cet été, j’ai une cinquantaine de petites œuvres que je vais installer et exposer dans différents endroits au Témiscamingue.

F. A: Est-ce que cette période a été inspirante pour toi?

É. L: Je n’ai pas eu la chance de m’en inspirer vraiment. Ce n’est pas une période que j’ai rentabilisée en termes de créativité. Mais ça m’a fait beaucoup réfléchir à des valeurs telles que la solidarité, l’entraide. Ce sont des valeurs très humaines. J’ai me suis intéressée à toute cette réflexion sur l’autonomie alimentaire également. C’était intriguant qu’on ait manqué de farine pendant un mois. Les gens ont donc recommencé à tricoter, à cuisiner, à prendre du temps pour eux, à passer du temps avec leurs proches. C’est quand même plate qu’on ait eu besoin d’une pandémie pour ralentir. Cela fera partie de mes futurs projets, ce mode de vie-là.


 


F. A: Une œuvre qui t’a accompagnée pendant la période?

É L: « 50 ans de ménage ». C’est une linogravure de 22X30 pouces qui représente deux personnes âgées de Louis Brien. Dans leurs lunettes, on voit le meilleur moment dans leur vie. Pour la femme, ce sont des enfants qui courent autour d’elle. Dans les lunettes de l’homme, on le voit le jour de son mariage dans une belle voiture avec sa femme. C’est une œuvre qui est dans mon salon depuis plus de quatre ans. Comme je travaillais de mon salon, j’ai pris le temps de l’admirer. C’est une très belle œuvre.


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