Marie-Noëlle Blais dirige les éditions du Quartz depuis à peu près un an. Comme tout le monde, elle a vécu le confinement et lui a même survécu. Cependant, elle n’est pas sûre de l’avoir réussi. Elle nous parle de son métier, de sa vision de métiers essentiels pour réussir un confinement. Elle avoue ne pas avoir fait de pain. Si jamais on devait se reconfiner, faites une bonne action : envoyez-lui une recette de pain.
Le questionnaire
F.A: Comment as-tu vécu le confinement?
M.N.B: Je l’ai vécu en deux étapes. La première était une période d’affolement et de désorganisation totale. Je ne pouvais pas me permettre de laisser trainer des dossiers au Quartz. Il y avait des livres en chantier. On ne savait pas combien de temps ça allait durer. Avec les enfants à la maison, mon conjoint qui travaillait, c’était beaucoup de désorganisation. Puis étrangement, grâce à un lâcher-prise de la part de tous, on a pris notre erre d’aller. Je dirais même que j’ai réussi à savourer une part de ce rythme nouveau qui nous est imposé. Je me disais que j’avais la chance de passer du temps avec mon fils qui est en plein développement. N’eut été ce confinement-là, c’est quelqu’un d’autre qui aurait eu ce plaisir au quotidien. C’était ma façon de voir le bon côté de la chose.
F.A: As-tu l’impression d’avoir réussi ton confinement?
M.N.B: Ouh là! là! Je me suis enlevé cette pression de réussir mon confinement : être une mère parfaite, sur tous les fronts, qui fait du pain et qui amuse son enfant. J’aurais craqué. Je n’ai pas joué à ça. Mais si les critères pour réussir son confinement, c’est de passer au travers, donc on l’a fait. De toute façon, j’ai continué avec le même rythme après le début du déconfinement, car mon fils n’est pas retourné à la garderie. Mais je n’ai pas fait de pain.
F. A: Quelque chose que tu as appris depuis le confinement?
M.N.B: Comme beaucoup de personnes, je me suis rendu compte des aspects essentiels de nos vies. J’ai beaucoup remis en question mon travail en le comparant aux métiers jugés essentiels. Mais je l’ai fait en sachant quand même que la littérature a accompagné beaucoup de gens pendant ces longues semaines d’isolement et de solitude. La littérature et les arts en général ont quand même un peu sauvé une part de vie intellectuelle, de vie spirituelle et morale. Mais ce que j’ai quand même appris, c’est l’humilité par rapport à ce que je fais au quotidien. Quand je pense à des femmes et des hommes qui travaillent à l’épicerie, aux travailleurs de la santé, je me dis que ce sont des gens peut-être trop invisibles dans notre quotidien. Tout d’un coup, on s’est rendu compte de leur importance. Ce sont pourtant des gens qu’on voit fréquemment. C’est grâce à eux qu’on a pu réussir notre confinement. Donc de l’humilité et encore une fois du lâcher prise!
F. A: Quand on compare un roman comme L’Aveuglement de Saramago à ce qu’on vient de vivre, on peut se dire que la réalité a porté un vrai coup de Jarnac à l’imagination, au travail de l’imaginaire. Qu’en penses-tu?
M.N.B: Je ne serais pas étonnée que les écrivains qui sont dans l’anticipation, la science-fiction continuent leur travail quoique bluffés de se rendre compte qu’ils avaient écrit une histoire pas si éloignée que ça de ce qu’on vivait. Un état d’urgence comme cette situation-là ne se vit pas de la même manière pour tous. Il y en a pour qui c’est un accélérateur de création, tandis que pour d’autres, incapables de se concentrer, c’était le désert de création. Cela peut être dû au fait qu’on a l’impression de nager en pleine fiction. La frontière entre fiction et réalité est extrêmement poreuse en ce moment.
F.A: Quelles en sont les répercussions sur le développement du Quartz?
M.N.B: Fort heureusement, on a une super équipe de bénévoles au Quartz. Le printemps est une période très chargée pour nous avec des demandes de subvention et des parutions. C’est également la période du Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue dont l’annulation a été le coup le plus dur pour le Quartz. On a vite compris qu’il fallait lâcher prise. Tout le monde s’est montré extrêmement solidaire. On ne sauve pas de vie. On fait des livres. Ce sera un tout autre timing. Mais les livres vont sortir et ils seront beaux.
F. A: Une œuvre qui t’a accompagnée pendant cette période?
M.N.B: J’ai beaucoup pensé à Station Eleven. Je ne suis pas une grande fan de romans d’anticipation, mais ce roman m’avait beaucoup interpelée. C’est un livre très bien ficelé, mais il y a aussi ce postulat selon lequel survivre ne suffit pas. C’est pour ça que l’art est au cœur de ce roman. Pendant le confinement, il y a eu les arts pour contrebalancer le stress et l’angoisse. J’ai beaucoup fait de fuite dans la fiction, mais trop peu dans les livres, pour être honnête. Je manquais de concentration. J’ai regardé beaucoup de séries. Excellent moyen de s’étourdir. J’en ai aussi profité pour renouer avec le cinéma d’auteur. Il y a notamment le film Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma qui m’a énormément plu.