Roger Pelerin, le maître.

Vous avez entendu parler de lui, ce graveur de l’île Nepawa. Vous avez vu de ses œuvres, peut-être même acheté le livre des éditions du Quartz qui lui est consacré. Sur la première de couverture, cette maison des temps anciens où chacun des bardeaux est minutieusement travaillé. Les chevaux dans le champ, les vaches, les moineaux sur les fils, les clôtures… Une vie en noir et blanc. Vous êtes impressionné par tant de rigueur, d’évocation, de richesse. Un beau livre plein de ces trésors.

Le petit garçon avec le chien, c’est lui. Et celui avec son air de clown sur le rabat intérieur, c’est encore lui.

Vous vous dites : je veux rencontrer cet artiste, son atelier, son univers. Et vous y allez.

Vous entrez dans son monde. Son chien vous reçoit, joyeux à l’excès, ainsi que Renée, sa compagne, artiste comme lui.

Vous découvrez un environnement rieur et déjanté. Une cour à scrap où dorment, « irrévélés », des personnages-sculptures, des possibles que lui seul verra quand l’araignée de son plafond se réveillera d’une séance de gravure.

Dans la petite maison transfigurée, trois étages. Trois contes.

En haut, le lieu monastique, l’ordre, la gravure. C’est à cette table face à la fenêtre qu’il se penche, attentif à la fluidité du geste, à la maîtrise de la gouge, à faire surgir du linoléum l’incomparable foisonnement. C’est son œuvre maîtresse. Son incessant rendez-vous.

Au rez-de-chaussée, un beau poêle, et tout ce qu’il faut pour bien vivre, manger, se recréer, s’informer. Mais on se croirait encore dans une de ses gravures. Son empreinte est multiforme, son travail a tout transformé, des meubles jusqu’au dessous du poêle.

Au sous-sol, un atelier. Un « récupérarium ». Céramique ramassée ici et là, pièces d’horlogerie, billes de verres, vieux outils décatis. Issus de cela, tables, coffres, bacs, pots, multicolores, chatoyants, durables. De rebuts, ils ont créé de la beauté.

Trois étages pour l’œil.

Roger a lu presque tous les auteurs grecs et latins. Ce qu’il y trouve ? Le même vécu humain, les mêmes réflexions, les mêmes constats sur la grandeur côtoyant la misère humaine. La bêtise et la frénésie des hommes. De quoi prendre du recul.

Mais il fréquente aussi le moderne avec sa technologie numérique. Et si vous avez le bonheur d’être son ami Facebook, vous constatez que l’esprit caustique de certaines gravures se double d’un grand humoriste. Ses bandes dessinées jettent sur le monde des artistes et des vernissages un coup d’œil goguenard. D’autres abordent la mort à faire s’esclaffer n’importe quel esprit chagrin. Guili guili la grande faucheuse. C’est aussi la vie !

Pour ses intimes, jadis, derrière son hangar fatigué, jouqué sur le toit d’une auto cabossée, des tiges de métal dans chaque main, Roger saute, danse et se démène comme un diable dans l’eau bénite tant et si bien que, caché à notre vue, c’est tout un village de griots que nous entendons se décarcasser aux percussions. Une magie inspirée et enivrante que nous n’avons malheureusement jamais documentée. Cela serait, aujourd’hui, viral !

C’est un orgueilleux pondéré, un résilient résigné, un noble prolétaire, un rebelle serein, un septuagénaire sans âge, un tendre ricaneur, un moine sans religion, un ascète de bon goût, un critique futé, un sédentaire cosmique, un sage chevronné, un graveur-sculpteur-céramiste-ébéniste-bédéiste… J’en passe.

Rejoignant un jour les Sénèque et les Homère, ce qu’il doit voir venir de très loin, éveillé qu’il est, il faudra un projet de musée, un lieu qui nous livrerait à travers son œuvre un peu sa recette de vie. Qu’il continue de nous faire discrètement la leçon !

Maître Roger.


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