Je sais, mon dernier éditorial relevait plus d’un cri du cœur que d’une analyse raisonnée et chiffrée d’une situation. Je l’assume parce qu’il était le fruit d’un immense sentiment de perte : celle de nos repères identitaires et culturels, de nos acquis sociaux et environnementaux. Pourtant, ce sentiment persiste, malgré l’annonce du maintien des conservatoires de musique en région. Cette bonne nouvelle est en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt. Bien qu’on se targue d’avoir en Abitibi-Témiscamingue une vitalité culturelle hors de l’ordinaire, tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Remontons dans le temps, pas si loin, soit au début des années 2000, à l’époque où on a vu naître le Fonds dédié aux arts et aux lettres de l’Abitibi-Témiscamingue. Bien qu’il ait été rebaptisé à quelques reprises, ce fonds est sans contredit une des raisons expliquant notre vitalité culturelle extraordinaire, en permettant aux artistes et aux organismes culturels, de façon concrète, de réaliser des projets. Des exemples? Le film Danse avec elles de Beatriz Mediavilla, le Festival des contes et légendes, l’Atelier les Mille Feuilles et leurs Performances des saisons, Roger Pelerin et ses livres gravés, l’Orchestre symphonique et son concept innovateur Mi-figue, mi-raisin, Alexandre Castonguay et Dominic Leclerc pour Alex marche à l’amour, etc.
C’est bien beau la création, mais comme toute industrie qui se développe, les créateurs et diffuseurs ont parfois besoin d’argent pour passer de l’idée à l’action. Depuis les dernières bourses accordées au début de 2014, un doute plane sur la reconduction du Fonds des arts et des lettres. Au moment d’écrire ces lignes, aucune entente n’est signée. Pas de nouvelle, bonne nouvelle? Certainement pas.
À l’heure où le gouvernement songe à fermer les centres locaux de développement (CLD) et où on remet en question le mandat de la Conférence régionale des élus (CRÉ), sans compter les pertes dans les ministères de l’Éducation, de la Culture ou de la Santé, il est légitime de s’inquiéter du sort de nos mécanismes de gouvernance régionale parce que c’est par eux qu’on s’assure d’avoir, au cœur de notre développement, une vision de proximité et une capacité décisionnelle au sujet des enjeux sociaux, identitaires, culturels et autres.
En effet, la CRÉ finance à 50 % le Fonds des arts et des lettres de l’Abitibi-Témiscamingue. Le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) assume quant à lui l’autre 50 % du financement. Malheureusement, à cause de l’incertitude qui la guette, la CRÉ ne peut s’engager dans le long terme. L’entente actuellement sur la table vient d’être signée, mais seulement pour une petite année. Ensuite… le néant. Pour les créateurs et les organismes de chez nous qui comptent sur ce soutien pour réaliser des œuvres ou des projets de développement de public, si le Fonds des arts et des lettres venait à disparaître, ce serait le retour à la case zéro. À l’aube de Culturat, ce serait un navrant message à envoyer à l’Abitibi-Témiscamingue.
Il ne faut pas se leurrer, l’écosystème culturel dans la plupart des régions du Québec, notamment en Abitibi-Témiscamingue, repose sur un fragile équilibre. Fermez un conservatoire, on perdra des musiciens professionnels et une relève qualifiée. Comment un orchestre symphonique peut-il survivre et se développer sans un milieu propice à l’émergence de nouveaux talents? Coupez dans les sorties culturelles des écoles et les organismes de diffusion en pâtiront illico. Coupez les sources de revenus des artistes et ils devront faire autre chose de leur vie. Ceux qui adhèrent à l’implacable logique économique se diront qu’il est temps que les artistes se trouvent une vraie job. Moi je pense que la vraie job des créateurs, c’est de créer un espace dans lequel on peut encore rêver. Réfléchir. Bousculer. Émerveiller. Et critiquer.