À l’heure où les enjeux énergétiques deviennent des préoccupations majeures pour tous les pays, où le nucléaire fait frissonner de peur ceux qui se souviennent de Fukoshima, on comprend mieux que l’idée de développer le potentiel hydroélectrique d’un pays avait, en 1970, quelque chose de visionnaire. C’est le cas d’un ingénieur avant-gardiste, Robert A. Boyd, en l’honneur de qui on a construit l’une des attractions touristiques de Radisson.
À Radisson, on peut bien entendu faire la visite des centrales Robert-Bourassa (LG 2) et LG1, visites qui en mettront plein la vue à ceux et celles que les déploiements industriels spectaculaires intéressent. Toutefois, le véritable joyau de la localité se cache quelque part entre une boutique d’art et d’artisanat autochtone, Art Inouïs, et le parc Robert A. Boyd qu’il a lui-même mis sur pied depuis près d’une décennie. Ce personnage se nomme Daniel Bellerose. Il a choisi de vivre sa retraite au cœur de la taïga, après avoir œuvré le plus clair de sa carrière comme animateur en loisirs pour les employés d’Hydro-Québec qui sont passés par là par légions.
La visite commence par une traversée dans la brume de la rivière La Grande. On se rend jusqu’à l’emplacement du parc où était à l’origine le premier campement des aventuriers venus sonder le terrain et le bassin versant afin de déterminer les endroits stratégiques pour installer les barrages, les centrales et toutes les installations. Attention, nous sommes loin des grands musées et des budgets d’opération du Cirque du Soleil. Il faut même un peu d’imagination pour visualiser à quoi l’activité humaine pouvait ressembler à l’époque.
N’empêche, l’immense talent de conteur de Daniel Bellerose transporte le visiteur au cœur d’une histoire dont on peine à prendre la pleine mesure, celle des 185 000 hommes et femmes qui ont œuvré à la construction des centrales. Ceux qui travaillent en forêt, dans les mines ou sur les drills comprendront les défis qu’ont surmontés ces travailleurs : le froid, les shifts de 56 jours, l’ennui. Georges Dor le chantait si bien : « Si tu savais comme on s’ennuie, à la Manic, tu m’écrirais bien plus souvent, à la Manicouagan… » La visite est d’ailleurs truffée d’anecdotes insolites et rocambolesques, livrées avec force humour par ce guide passionné.
Ce qu’on connaît moins de l’histoire de la Baie James, c’est la démarche nationale qui était derrière le projet et dont Robert A. Boyd faisait la promotion. C’est son entêtement farouche à exiger que le projet de développement hydroélectrique se fasse en français, avec des ingénieurs francophones et québécois comme chefs de chantier plutôt que les américains. Outre les préoccupations d’autonomie énergétique, il y avait dans ce titanesque projet de société un désir d’affirmation identitaire qui s’est incarné dans la prise de pouvoir de gestionnaires compétents et francophones. Le développement de la Baie James a peut-être été le fruit le plus concret de la Révolution tranquille et aura changé pour longtemps la face du Québec.
Grâce à Daniel Bellerose qui s’est donné mission de perpétuer sa mémoire, les aventuriers qui se rendent à Radisson pourront en apprendre davantage sur cet homme visionnaire qu’a été Robert A. Boyd et l’immense influence qu’il a eue sur la société québécoise. On découvrira au passage d’autres personnages plus grands que nature : des amoureux clandestins, des camionneurs contrebandiers, des pilotes d’hélicoptères revenus du Vietnam : tout un monde qui prend vie dans la bouche d’un guide aussi énergique que passionné.