On entend souvent dire : J’aimerais tellement écrire « ma vie » pour laisser une trace à mes enfants… Mais ce n’est pas facile. Entreprise périlleuse et hardie.
Raymond Godard, médecin bien connu à Amos et aux alentours, aussi poète remarquable, nous donne un exemple magistral d’une histoire de vie dans son dernier livre intitulé Les étés retrouvés, paru à compte d’auteur en début d’année.
Il aborde son histoire en plongeant dans son enfance à Nominingue, Montréal et Ste-Véronique. On passe avec lui de la campagne à la ville, des forêts à la rue St-Denis, on connait sa famille, ses racines, les petites misères et les grands bonheurs. Cette vie décrite méticuleusement fait écho à notre propre enfance. Il y raconte son amour du nord. Son choix, comme une évidence, de venir pratiquer la médecine en Abitibi.
Mon amie Monique Bernier me disait un jour que la belle surprise de vieillir était que des bulles entières de mémoire vive remontaient à la surface. Il fallait apprendre à laisser monter et récolter la richesse de ces mémoires pleines de saveurs, d’odeur, d’émotion. Soudain, un déjeuner chez la grand-mère nous revient inchangé. Tout y est : l’odeur des œufs et du bacon, du pain grillé, de la lumière sur la nappe damassée, du sucrier à dorure, du pot de lait en faïence, et les chansons joyeuses du grand-père qui beurre les rôties. Il y a même des marguerites cueillies le matin même à l’heure de la rosée. Alors, la bulle de mémoire redonne la sensation des fleurs dans les petites mains, le beurre fondant sur le pain grillé, l’atmosphère paisible de ce moment qui contient tout l’amour des grands-parents… Rien ne nous échappe : le tablier de la grand-mère, le couvercle du pot de confiture, la peur d’écraser les petites fraises lors de la cueillette avec tante Adèle… les souvenirs affluent. Chaque objet de mémoire attire d’autres bulles. Les oranges, le panier de pommes fraîches, le tablier rappelle les heures de couture et de repassage des femmes de la maison, les draps empesés, le séchage sur les cordes à linge. On dira: c’est la fois que… c’est la fois que… en souriant ou en ravalant nos larmes.
Dans le fond, comme dit l’auteur Raymond Godard, on cherche à revenir en enfance pour y retrouver notre cœur pur, nos racines profondes… Il le démontre parfaitement. Les étés retrouvés est truffé de détails savoureux d’un observateur attentif, généreux de ses observations.
Je vous livre un extrait de la page 63 :
« Au fil du temps »
Nés de parents mal assortis, nous avons été ballotés, enfants. Puis adolescents. D’une maison à l’autre, depuis Nominingue à la rue Drolet, de celle-ci à la rue Vivian, de celle-là à la rue Fleury, trimardant notre baluchon de chagrins et de bonheurs. Deux petits dégourdis se sont frottés au monde du travail dans une station-service de la Côte-des-Neiges. Cinq enfants se sont immergés dans la luminosité des matins à Ste-Véronique, ont vu lever la poussière des routes de gravier, ont observé des bouleaux ondoyant au-dessus de la grève d’un lac dont les eaux s’émiettaient en millions de vagues bleues.
On lisait à la page 46 : « pendant l’été 1944, alors que la guerre perdure, mes parents se permettent un petit voyage dans la région de Québec, à Duchesnay, où demeurait le seul frère utérin de ma mère. Premier de classe toute l’année, je les accompagnai en guise de récompense. J’avais huit ans. Mes parents n’avaient pas d’âge, ils étaient des parents. Mon père à la veille de célébrer ses 42 ans, ma mère venant de fêter ses 33 ans – des adultes plus jeunes à l’époque que mes enfants d’aujourd’hui. »
Raymond Godard ne nous cache rien à nous ni à lui-même. Il revisite les chemins féconds de sa vie en extrayant la vie de cette vie… pour l’éclairer mieux.On ressent sans analyser que Raymond Godard avait un chemin tout tracé pour devenir l’excellent médecin qu’il est en Abitibi, reconnu pour son habileté au diagnostic des maladies… et à l’écriture poétique.
Alors qu’il venait tout juste de publier Montréal ailleurs chez Claude Langevin éditeur, j’étais à l’époque, attablée au café Radio avec le recueil et un café, quand une dame, devenue mon amie depuis lors, s’assied devant moi sur la banquette. « Le livre que vous lisez est-il de Raymond Godard? Ce médecin m’a sauvé la vie! »Je lis quelques strophes à voix haute. Elle est émue aux larmes. Je lui offre le recueil qu’elle lira doucement dans son petit village de Rochebeaucourt. Ce moment est imprégné dans ma bulle de mémoire… Une rencontre autour de Raymond Godard. J’ignorais alors qu’il était médecin. Yvonne Bibeault ignorait qu’il était poète.
Je vous souhaite une douce lecture de la vie de cet homme qui a choisi d’être des nôtres avec tout ce qu’il est et a été : un être d’exception. Raymond Godard réussit son pari de retrouver son cœur d’enfant en rebroussant chemin dans ses allées de vie.
Les été retrouvés sera disponible au prochain Salon du livre à Amos.