En mars dernier, Maxime Dupuis, finissant en Arts et lettres, profil cinéma du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, est allé débattre à Montréal avec les autres délégués des cégeps de la province, le choix des étudiants de la région dans le cadre du 2e Prix collégial du cinéma québécois. Voici les critiques de cinq étudiants de la région pour chacun des films en lice cette année.

Camion (1er choix des collégiens de la région)

Une profondeur subtile et masculine

>> Audrey-Ann Beaulé

Germain (Julien Poulin), un camionneur approchant la retraite, a un face-à-face avec une femme et celle-ci meurt sur le coup. Germain se sent coupable. Ses deux fils, Alain (Stéphane Breton) et Samuel (Patrice Dubois), vont alors se retrouver afin d’aller voir leur père dans leur village natal. Cette réunion poussera les trois hommes à faire le point sur leur vie.

Il est vrai de dire que Rafaël Ouellet est un jeune réalisateur puisqu’il a réalisé son premier film, Derrière moi, en 2009. Par contre, son œuvre cinématographique, Camion, est loin de refléter le travail d’un débutant. De plus, même si ce film ne contient pas beaucoup d’action, le réalisateur a su trouver des éléments narratifs en harmonie avec l’histoire et qui dénotent une profonde sensibilité.

Camion se démarque par sa profondeur et sa sobriété, car les personnages du film se rapprochent plutôt de la réalité québécoise au lieu d’avoir des traits de caractère stéréotypés (comme dans Les Boys de Louis Saïa). De plus, les dialogues du film vont dans le même sens, puisqu’ils ont une teneur très nostalgique. Par conséquent, les spectateurs peuvent facilement s’identifier aux personnages, à leurs souvenirs et même à leurs questionnements. Bref, ce film évoque d’une belle et d’une touchante façon le Québec de nos jours et les Québécois d’aujourd’hui. 

Camion, Canada, Québec, 2012. Un film de Rafaël Ouellet avec Julien Poulin, Patrice Dubois, Stéphane Breton et Noémie Godin-Vigneau. Durée 94 minutes. \

Rebelle (2e choix)

Un regard d’enfant

>> Olivier Perrier

Sélectionné aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, Rebelle raconte l’histoire d’une jeune africaine qui, forcée de rejoindre un groupe de rebelles, tente de retourner dans son village pour enterrer ses parents. Le réalisateur, Kim Nguyen, est parvenu à éviter les pièges qui le guettaient et à réaliser un film juste et subtil. Tout d’abord, le choix de raconter l’histoire à travers les yeux d’une enfant est judicieux, car le spectateur se retrouve plongé dans la vie d’un enfant-soldat plutôt que de regarder la situation avec recul. La narration postérieure de Komona nous permet de bien comprendre les conséquences des traumatismes qu’elle a vécus, sur sa vie future.

Une autre grande force du film est le refus de mettre en contexte et d’expliquer les conflits. Cela permet de se concentrer sur le personnage de Komona, car ce n’est pas la guerre qui importe, mais bien ses impacts sur la jeune héroïne. Finalement, ce qui fait de Rebelle un grand film est sa façon originale d’aborder le thème de la spiritualité avec un aspect fantastique. Les fantômes qu’aperçoit Komona et les amulettes fabriquées par son ami Magicien ajoutent de la profondeur à l’histoire et, étonnamment, du réalisme puisque la magie fait partie des coutumes africaines. Au final, Rebelle est si bien dosé et efficace qu’il est très difficile de lui trouver des lacunes. Sa nomination aux Oscars semble donc amplement méritée.

Rebelle,Canada, 2012. Un film de Kim Nguyen avec Rachel Mwanza, Alain Bastien, Serge Kanyinda, Ralph Prosper et Mizinga Mwinga. Durée 95 minutes. \

Over My Dead Body (3e choix) 

Danse ou crève

>> Christophe Baron-Morasse

Danseur et chorégraphe qui repousse les limites, Dave St-Pierre est atteint de fibrose kystique. Alors qu’il ne lui reste que 2 ans à vivre et qu’il est sur une liste d’attente pour recevoir une transplantation, son amie Brigitte Poupart le suit dans son quotidien. Poupart, que l’on a vue dans Monsieur Lazhar (2011), en est à son premier film à titre de réalisatrice. Elle a terminé ce documentaire trois ans après l’opération de son ami, avec un budget d’environ 75 000 $.

Pour son premier film qui est un hommage à son ami, Poupart a choisi une approche plus expérimentale. Bien que la qualité de certaines images soit médiocre, la manière dont le film est construit, en deux parties distinctes, en fait sa force. Dans la première partie, c’est St-Pierre et son art qui sont mis de l’avant. On présente son corps sans gêne, dans son bain par exemple. On met l’accent sur son torse, notamment lors d’images d’archives. Le personnage marginal devient attachant au fur et à mesure que son univers est «expliqué».

Puis, alors que le film ne semble mener nulle part, il prend une tournure dramatique : St-Pierre est atteint de fibrose kystique et il a une espérance de vie de deux ans. On délaisse alors le côté artistique pour présenter son côté humain. S’adressant à un public curieux, Over My Dead Body est le meilleur cadeau de rétablissement que St-Pierre pouvait recevoir.

Over My Dead Body,Canada, 2011.Un documentaire de Brigitte Poupart avec Dave St-Pierre et Brigitte Poupart. Durée 80 minutes. \

 

 

Roméo Onze

Rêve brisé d’un paria en mal d’amour

>> Rosalie Bouchard

Rami est un immigrant libanais habitant à Montréal et souffrant de paralysie cérébrale. Il rencontre une jeune fille en clavardant et veut l’impressionner en prenant un faux profil d’homme d’affaires.

Roméo Onze est le premier long métrage du jeune cinéaste québécois Ivan Grbovic. Soucieux de susciter des réactions, Grbovic traite dans son œuvre de thèmes peu abordés dans le cinéma québécois : tout d’abord, il s’intéresse à la situation d’immigrants au pays et puis de l’impact des handicaps sur l’intégrité humaine.

Sara Mishara, conjointe de Grbovic, ainsi que directrice à la photographie et coscénariste de Roméo Onze,  offre des images réalistes. Avec ses longs plans fixes de demi-ensemble où le sujet est centré au beau milieu de l’écran, elle arrive à exprimer toute la solitude et la tristesse qui amènent le personnage de Rami à se terrer au fond de sa coquille. Les couleurs froides et sombres ainsi que l’éclairage doux et diffus à la Gus Van Sant en disent long sur la vie maussade du personnage principal et confèrent un côté intimiste à ce drame psychologique.

Malgré toutes ses qualités, Roméo Onze n’est pas un film parfait. Le jeu des acteurs est inconstant, le scénario se termine en queue de poisson et malgré la cohérence d’un grand nombre d’images, le film est handicapé par des lacunes techniques importantes en ce qui a trait à la caméra. Cependant, c’est un effort honnête pour un premier long métrage de la part de Grbovic. Pour les amateurs de films poignants de réalisme.

Roméo OnzeCanada, 2011. Un film d’Ivan Grbovic avec Ali Ammar, Joseph Bou Nassar, Sanda Bourenane, Éléonore Milier, May Hilal et Caline Habib. Durée 91 minutes. \

Laurence Anyways

L’esthétique hystérique

>> Annie-Claude Caron

Dans Laurence Anyways, Xavier Dolan nous transporte dans l’univers déjanté de Fred et Laurence à Montréal dans les années 90. Ces deux marginaux s’aiment passionnément, si bien qu’ils se créent des listes de choses qui nuisent à leur bonheur : le brun, les parents qui peignent la chambre de leur enfant de couleurs pastel, le chocolat noir… et on pourrait y ajouter l’annonce de Laurence qui souhaite devenir une femme.

La plus grande réussite de Dolan dans ce film est certainement l’esthétique stylisée à l’extrême d’où ressort un éclat de passion. Les couleurs du film sont à l’image du couple de Fred et Laurence, vives, éclatantes, branchées, qui défient les normes, et d’une ferveur dévorante. Le film respire la jeunesse. Comme à son habitude, le réalisateur aime recréer les normes esthétiques. Le tout est d’ailleurs accentué par un vaste choix de musique. De la musique très hétéroclite, qui passe de Céline Dion à Jean Leloup, en passant par Fever Ray et qui évoque le souvenir.

Ce qui nous fait malheureusement décrocher de ce festin visuel est la longueur du film. Une histoire qui se déroule sur 10 ans portant sur deux grands thèmes (la transsexualité et l’amour dans le couple), c’est un peu présomptueux pour le jeune réalisateur qui a encore beaucoup à apprendre. Enfin, il faut tout de même admettre que le film, malgré sa longueur, est d’une beauté démesurée et que Dolan sait manier l’image comme les grands peintres savent manier un pinceau.

Laurence Anyways, Québec, 2012. Un film de Xavier Dolan avec Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye et Monia Chokri. Durée 168 minutes. \