Le mois dernier, le journal Rue Frontenac (publication des ex-lockoutés du Journal de Montréal) proposait un dossier sur l’industrie minière l’Abitibi-Témiscamingue. Plus précisément sur les possibilités de mines à ciel ouvert dans une série d’articles intitulés L’Abitibi veut se sortir du trou. On y parlait bien évidemment de l’incontournable mine Osisko, des résidents de Malartic et de son quartier sud, de projets miniers, des difficultés d’être écologistes en région, de l’économie et de la vision d’un maire dans ce dossier.

La journaliste en visite dans la région a rencontré le coloré maire de Val-d’Or, Fernand Trahan, qui, loin d’avoir la langue de bois ou dans sa poche, y est allé de quelques déclarations-chocs, dont celle-ci : « […] Moi, la gang d’artistes, qu’ils aillent à l’ADISQ et qu’ils nous foutent la paix. OK? Il y a des gens sérieux dans les régions qui sont capables de gérer leur territoire. Quand ça fait pas leur affaire, qu’ils déménagent, câlisse. » Ces propos sont ici ceux d’un maire, mais ils font écho aux idées de plusieurs.

À bas les débats

En lisant une telle affirmation, on comprend que certains souhaitent éviter un débat : on dit aux gens de se taire, d’écouter, de ne pas poser de questions et de suivre les élus, car qui d’autre peut vraiment savoir ce qui est bon pour le peuple? Étrange comme vision, surtout quand le but premier des élus devrait être de représenter la population, toute la population.

En matière de développement, si l’on veut qu’un projet soit réellement durable, il doit se réaliser de concert avec l’univers qui l’entoure, c’est à dire être socialement acceptable, respecter l’environnement et offrir une rentabilité économique. Dans le cas qui nous préoccupe ici (les mines à ciel ouvert), on consulte souvent les instances économiques qui, si le prix des métaux est haut et la rentabilité du projet évidente, sont généralement partants. Les environnementalistes et instances gouvernementales sont là, ou devraient être là, pour veiller au grain, s’assurer de la conservation du territoire et des ressources. Mais qui évalue l’aspect social de tels projets? Qui se préoccupe de leurs impacts sur les populations, au-delà des emplois créés? Ainsi, c’est souvent là que le bât blesse : l’acceptabilité sociale.

Le maire, par ses propos, affirme que si on n’est pas d’accord avec le modèle de développement minier qu’on nous propose pour notre territoire, voire si on remet simplement en question certains de ses aspects, alors on peut faire ses valises et se choisir un nouveau port d’attache. Un peu simpliste comme débat de société! Pourtant, c’est ce qu’on enseigne aux jeunes enfants, c’est souvent par le biais de discussions, d’échanges d’idées aussi opposées soient-elles qu’on peut arriver à trouver des solutions valables pour tous, ou du moins pour une très forte majorité. L’Abitibi-Témiscamingue ne se démarque pas particulièrement pour ses débats publics; si en plus on demande à ceux qui en créent de lever les pattes, on risque d’obtenir une forme d’unanimité sociale fort inquiétante.

Si c’est le peuple, les gens, les citoyens comme vous et moi qui votent au moment des élections, ce sont plus souvent qu’autrement, et fort malheureusement, les « hommes » d’affaires qui ont l’oreille de nos politiciens le reste du temps, ne serait-ce que parce qu’ils sont organisés et savent ce qu’ils veulent. Ce n’est pourtant pas l’ultime panacée « les jobs », surtout quand il n’y a rien autour pour profiter du pécule qu’on y amasse!

Un pays sans artistes

On reproche souvent aux artistes qui s’investissent dans les débats publics de ne pas savoir de quoi ils parlent, de manquer de matière et de se faire manipuler par des groupes de pression. Dans cette optique, on pourrait croire que les artistes ne sont pas des êtres pensants; pourtant, n’est-ce pas leur propre de réfléchir à la société et de transformer ces réflexions en créations? Pourquoi est-ce qu’un artiste perdrait d’office son statut de simple citoyen en se professionnalisant, pourquoi n’a-t-il pas droit de prendre la parole et de verbaliser ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce en quoi il croit? Et les politiciens, eux? Sont-ils vraiment plus au fait de ces dossiers ou sont-ils eux aussi manipulés – en l’occurrence par les lobbys et l’industrie? Pourquoi le simple statut d’être humain, de citoyen, n’est-il pas assez noble pour que les gens puissent affirmer haut et fort leurs inquiétudes, sans se faire dire de se la fermer?

Si des propos comme ceux de monsieur Trahan font le bonheur des journalistes friands de citations corsées, ils blessent probablement tout autant les artistes visés par ces propos. Et s’ils acceptaient son invitation et quittaient vraiment notre belle région, quels en seraient les impacts? Que serait l’Abitibi-Témiscamingue sans artistes engagés et sans esprits contestataires?

L’exil des artistes aurait pour effet premier, sur la région, de faire diminuer – voire disparaître – la vie culturelle, et il est bien connu qu’un milieu où l’offre créative est faible possède un faible pouvoir d’attraction et de rétention des individus et des capitaux. L’exode de gens qui prennent la parole au nom du développement social aurait aussi pour effet de voir s’éteindre de nombreux désirs et projets porteurs d’initiatives propices au développement de la région. La communauté serait sans doute économiquement forte, jusqu’à la traditionnelle chute du prix des métaux, et soumise à une stérilisante unanimité.

Loin de moi l’idée d’ouvrir un débat sur les mines à ciel ouvert dans un journal culturel. De toute manière, vous me direz certainement que mes propos sont biaisés, que je suis vendue d’avance à la cause, ce à quoi je vous répondrai que ce n’est pas parce que son père est dentiste qu’on ne peut pas avoir de caries! C’est plutôt du droit de prendre position, de s’opposer et de proposer qu’il est question. Parce que c’est sain d’avoir des débats, d’échanger des idées et de chercher des consensus bien au-delà des mines. Et que je n’ai pas envie de déménager.


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