Nous marchions dans le centre-ville cet après-midi-là. Les airs de Noël et des flocons tombaient du ciel gris. C’était à la fin du dernier mois de décembre d’une décennie emballée dans l’inventaire des catastrophes liées au déclin de l’humanité…
Jeanne s’installe soudain sur le bord du trottoir, se tourne pour faire face au trafic et lève le pouce en ricanant! C’est que son père lui a raconté des voyages au cours desquels, avec l’espoir comme bagage, il avait traversé l’Amérique. À cet instant, emporté par ses rires, je ne suis plus préoccupé par notre dérive collective…
Je revis à présent ces minutes en rêvant d’avenir. J’installe notre fille sur mes épaules, pour qu’elle puisse voir plus loin que moi, et nous partons à l’aventure. Solstice d’hiver, le soleil fend enfin ma grisaille. Là, je rêve à ciel ouvert :
Nous traversons des villages bien en vie avec de petites écoles et des comptoirs de caisses coopératives dans chacun d’eux. Il y a partout des commerces, des gîtes, des bibliothèques et des salles de spectacles aux modestes dimensions. Dans les rangs, nous passons devant des dizaines de fermes familiales. Les jardins, les carrés de cultures céréalières, les plantations de vignes, de noisetiers, d’amélanchiers, de mélèzes, de bouleaux jaunes et autres végétaux, les maisons et bâtiments agricoles se suivent sans jamais se ressembler. Nous arrêtons parfois donner de l’herbe à des chèvres, des sangliers, des boeufs ou des bisons.
De Témiscaming-Sud jusqu’à Rochebeaucourt, nous ne voyons jamais de cassure entre les villes et les villages. Il y a des produits des campagnes dans toutes les allées de toutes les épiceries. Des transports collectifs desservent tout le territoire (remarquez qu’on ne peut plus faire autrement puisque l’essence est hors de prix). Tout ce qui peut être récupéré l’est et un compost de qualité est distribué partout gratuitement. Tout est partagé, les gens ne sont pas très riches mais il n’y a plus de pauvreté. La démocratie n’est pas une illusion, les décisions importantes sont prises collectivement sans faux-semblants…
Trempons maintenant notre plume dans la logique du marché clamée par tous les bien-pensants : « C’est bien beau rêver mais il y a, ici-bas, des règles qu’on ne peut transgresser : la loi de l’offre et de la démence ou celle des mines, par exemple. Et puis, sans vouloir mettre fin à votre voyage, il y a une faille importante dans laquelle vont couler vos divagations : celle de Cadillac. Finalement, vous savez, l’Abitibi, le Témiscamingue et compagnie, ça restera toujours des colonies. »
Ce à quoi je réponds : « Une loi, ça se change. Une faille, même si elle est encore plus sombre et plus avare que l’intérieur d’un coffre de banque, ne fera jamais sombrer l’espoir. Et puis, une colonie peut toujours devenir un pays. »
La vie est une oeuvre qui se fait et se défait sans cesse. Notre art, à nous les humains, devrait toujours consister à la rendre aussi vivante et belle que possible.
Bonne fin de siècle!