Vous avez déjà lu 1984, l’œuvre-maîtresse de George Orwell? Moi pas. J’ai bien voulu, mais j’ai été saisi, après une centaine de pages, par un sentiment d’angoisse. C’est un roman gris, lourd, qui raconte un monde où la population est contrôlée, encadrée à l’extrême et, surtout, surveillée en tout temps par Big Brother, représenté sur les affiches qui tapissent les murs par un homme au regard dur. Dans notre époque post-11-septembre, on s’imagine assez facilement que ça pourrait nous arriver aussi : finies l’intimité et la vie privée, on est sous l’œil attentif de quelqu’un, quelque part, qui surveille nos moindres gestes…

Et, curieusement (peut-être ne l’est-ce pas non plus), je pense à Facebook, à Youtube, à ces autres réseaux dits « sociaux ». Vous connaissez ces phénomènes autant que moi. On se montre, on s’exclame, on partage tout. Tout y passe : les photos du voyage dans le Sud, en maillot, des photos de famille tout sourire, des images de la brosse de la veille, des échographies du bébé à venir. J’ai même déjà lu le message d’une fille qui s’en allait accoucher : « Le travail est commencé, on s’en va à l’hôpital… » Et les dizaines d’amis de crier leur joie et de féliciter la future maman…

Je me trompe peut-être, on jase, là, mais n’est-on pas en train de se Bigbrotheriser soi-même? D’offrir au monde, de bon cœur, des pans entiers de notre intimité, de notre vie privée? C’est 1984 à l’envers. Avons-nous réellement ce besoin de vivre à travers le regard des autres, pour savoir qu’on existe, pour dire qu’on est heureux? Ou pour se le faire croire? Le plaisir, est-ce de savoir qui a le plus d’amis Facebook, de « posts » sur son « wall », de vidéos sur Youtube ou de milliers de visionnements? C’est l’histoire de Narcisse, le reflet dans l’eau remplacé par l’image sur l’écran.

Oh! oui, je suis sur Facebook, après avoir longtemps « résisté ». Je ne suis pas plus catholique que le pape. J’ai ma photo. Et c’est tout. Je veux que ce soit tout. J’ai tracé ma ligne, ma limite. J’ai retrouvé de vieux collègues du bac, j’ai une cinquantaine d’amis et je vais faire mon tour assez régulièrement, je suis actif. Oui, Facebook et Youtube sont de bons outils pour s’organiser, se coordonner, susciter des discussions, promouvoir des idées, faire connaître de nobles causes. Pour s’amuser et rire aussi. Des outils citoyens ? Oui, bien sûr. Comme dans tout, c’est souvent l’utilisation qu’on en fait qui peut causer problème.

Andy Warhol, le roi du pop-art, a dit, dans ces mots je crois : « Un jour, tout le monde aura son quinze minutes de gloire ». C’était il y a bien longtemps. « Le monde est une immense scène et nous en sommes les artistes… » chantait Rush dans Limelight. C’était il y a longtemps aussi, bien avant la popularité d’Internet. Ils n’avaient pas tort finalement. Si ce n’est pas encore une réalité, eh bien, c’est ce que veulent bien des gens, on dirait.

C’est George Orwell qui tomberait en bas de sa chaise… \


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.