Paru le 10 août dernier aux Éditions du Quartz, Prendre pays est une série de lettres écrites par dix autrices et un auteur (plusieurs venant d’Abitibi-Témiscamingue ou y résidant) qui, dans des tons et des styles variés, travaillent les contours de l’appartenance, du lien. C’est une personne, c’est une forêt, une rivière, un ancien appartement… Les lettres s’adressent à un être aimé, à un enfant, à une amitié ancienne, à un disparu, et encore. Le pays du titre est intime, multiple.

C’est un livre d’ombre et de lumière, où l’amour, parmi d’autres thèmes, est omniprésent. Il donne tantôt la direction à suivre, tantôt se casse et laisse place au deuil, aux recompositions nécessaires. Et dans ces pages, le territoire est partout. Souvent, il s’imbrique avec les relations qui sont au cœur des lettres de Prendre pays. Dans le très beau texte qui ouvre le livre, par exemple, intitulé « T’écrire est mon ravage »et signé par la poétesse innue Marie-Andrée Gill, la narratrice explique, dans une lettre dédiée à « D. », comment s’est développée une intimité nouvelle avec des lieux fréquentés en sa compagnie : « […] rivière Portage, lac Cardinal, cap à Don Jean, belvédère à Monica, lac à Minette, montagne Blanche, mont Jacques-Lévesque.Ces noms de lieux qui ne me disaient rien de spécial sont devenus mythiques parce que tu les as foulés avec moi, tu me les as déchiffrés parce qu’ils t’ont formé, ils sont ta maison » (p. 17-18). Plus loin, dans une lettre d’une mère à sa fille, l’écrivaine valdorienne Virginie Blanchette-Doucet aborde ces mouvements qui nous portent vers de nouveaux endroits habitables, loin du territoire de l’enfance (sans qu’il ne cesse de nous habiter pour autant) vers lequel on croyait pourtant qu’on reviendrait : « Chez nous. Je l’ai répété à voix haute dans l’habitacle. Chez nous. J’ai fermé la radio pour me l’entendre dire. Je rentre chez nous. Je rentre chez nous. Ça s’est donc produit. J’habite un territoire qui est ailleurs » (p. 114).

Si le rapport au territoire, et notamment le rapport à l’Abitibi-Témiscamingue, occupe une place clé dans ces pages, certains textes n’y vont pas sans mobiliser quelques clichés pour décrire la région, présentée parfois sous les auspices d’une contrée nordique mythique et idéalisée. Dans cette optique, on appréciera d’autant plus un texte comme celui de Mélodie Rheault (« Salut Ti Bob »), destiné à un père décédé, qui s’enracine dans le Rouyn-Noranda urbain, quotidien – mettant ainsi, à travers la vie de cet être ayant choisi cette ville pour vivre ses dernières années, le projecteur sur une urbanité qui caractérise aussi la région : « Ton territoire n’était pas celui des grands espaces boisés, de chasse et de pêche. Ton territoire était rêche, de poussière de mine et de machines à sous. Le Morasse, la Neuvième, la Carter, le Bar des Chums » (p. 166).

Somme toute, on découvrira avec un intérêt sans cesse renouvelé chaque lettre du projet Prendre pays dans lequel, en plus des textes cités précédemment, on lira ceux de Fednel Alexandre, Vanessa Bell, Gabrielle Demers, Hélène Frédérick, Gabrielle Izaguirré-Falardeau, Lorrie Jean-Louis, Catherine Perreault et Rosalie Roy-Boucher.