Professeurs d’université mis au ban de leur établissement pour des mots « interdits », statues déboulonnées et tableaux retirés parce que les hommes du passé sont jugés par des tribunaux contemporains, écoles et lycées américains et français qu’on veut débaptiser (Abraham Lincoln était raciste!), œuvres récrites pour ne pas blesser quelques susceptibilités, livres enlevés des tablettes ou qui cessent d’être publiés parce qu’ils sont jugés offensants par certaines catégories de gens… Nous en sommes là, en 2021, preuve peut-être que, malgré un an de pandémie, de confinements et de couvre-feu, malgré une économie à terre et des santés mentales au troisième sous-sol, le monde va bien.

Les censeurs sont de retour! Les chasses aux sorcières aussi! « Les empires totalitaires ont disparu avec leurs procès sanglants, mais l’esprit de procès est resté comme héritage, et c’est lui qui règle les comptes », écrivait déjà, en 1993, Milan Kundera. Les nouveaux juges sont ces gens du camp du bien. C’est cette gauche qui a délaissé les travailleurs pour les minorités, nouvelles damnées de la Terre, et qui s’offusque à pas toujours grand-chose, preuve de leur faiblesse, par refus de la contrainte. Non, on n’est pas à Salem, il n’y a plus de bûcher, les méthodes se sont raffinées. Pour formater le discours, pour ne déranger et ne blesser personne (on veut leur vote ou leur argent!), pour disqualifier l’adversaire, on interdit d’antenne ou de public, on efface des noms et des traces du passé, on impose des quotas, des critères et des listes, on invente des concepts théorisés pour expliquer le réel, on diagnostique des pathologies psychiatriques à ceux qui profèrent des opinions différentes et certaines résistances. C’est une industrie de la victime, c’est l’éloge des susceptibilités.

Ce camp du bien n’a aucun respect pour le peuple quand il ne le suit pas. Il crie à la tolérance, à l’ouverture et à la diversité des genres, des couleurs, des identités, pourquoi pas, bien sûr! Mais il use de méthodes comme l’insulte et l’amalgame. Le brexiteur est un raciste, l’Américain moyen, un fou, l’homme blanc occidental, un misogyne et un colonialiste. Tant d’acharnement pour la diversité, mais rien sur la diversité intellectuelle. La promotion des idéaux passe par des guérillas médiatiques continuelles : il faut que les gens y adhèrent; il faut surtout identifier ceux qui s’opposent pour qu’ils cessent de nuire. Kundera, encore : « Moi aussi j’ai dansé dans la ronde (…) je tenais par la main d’autres étudiants communiste. Puis un jour, j’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas, j’ai été exclu du parti et j’ai dû sortir de la ronde ». La logique est la même.

Pourtant, la beauté du militantisme, c’est travailler à monter un projet, à partager une vision, à prendre le bâton du pèlerin et sortir convaincre. Pas contraindre, pas effacer! C’est plus long et difficile, c’est pas toujours gagnant, mais c’est plus courageux.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.