Annus horribilisC’est du latin. L’expression ne vient pas de la lointaine Antiquité où des Romains, désespérés face aux catastrophes, l’auraient scandé à tout va. Non, elle vient de la bouche de la reine d’Angleterre en 1992, qui fêtait ses quarante ans de règne: « 1992 is not a year on which I shall look back with undiluted pleasure […] it has turned out to be an Annus Horribilis. » [1992 n’est pas une année que je me remémorerai avec plaisir, elle restera comme une annus horribilis.] Vous permettrez que je l’emprunte. 

 

Année horrible. Depuis mars, une inquiétude sourde, une anxiété rampante, une incompréhension tenace, des relents de fin du monde par moment ou d’une cassure profonde tout au moins. Devant l’inconnu, devant l’irréel, on cherche des réponses. On clique sur des articles aux titres à sensation (c’est voulu comme ça!), on écoute des médecins qui ne s’entendent pas, on trouve des sites pas toujours fréquentables. On fouille chez Nostradamus à la recherche d’une prédiction, un vers circule sur Internet : « Il y aura une année jumelle (2020) doù surgira une reine (Corona) qui viendra de lOrient (Chine) et qui étendra une plaie (Virus). » On avale de travers. Mais c’est un faux. On tourne les pages de la Bible, les dernières bien sûr, celles du livre de l’Apocalypse : quand ça ira mal, la fin du monde sera proche. Année horrible, virus, confinement, récession, crise économique, chômage, faillites, dépressions. Il n’y a plus de Club Optimiste qui vaille! 

 

L’idée de santé s’est réduite à ne pas avoir la Covid. Rien sur les autres maladies, rien surtout sur la santé mentale, celle des gens qui perdent leur travail ou leur commerce pendant que Bezos engrange les milliards, celle de ceux que les confinements et les barrières sociales ont fragilisés. Il aura fallu le meurtre épouvantable de deux personnes, à Québec, par un samouraï au long sabre pour sortir d’une poche 100 millions de dollars. 

 

Année horrible pour notre vie en société. Rassemblements interdits ou limités, fêtes, festivals, salons, concerts, spectacles et 5 à 7 sur les réseaux sociaux, à travers des caméras qui jamais ne pourront permettre le vrai contact, les mêmes sensations, la vraie contemplation. On joue le jeu un temps, on se fait sûrement des accroires. Les casaniers sont aux anges et donnent parfois des leçons. Année horrible pour des milliers de jeunes, privés d’école pendant des mois et encore obligés d’apprendre à distance. Année horrible pour la motivation scolaire, souvent nourrie par les relations sociales et les sports. 

 

Année horrible, finalement, pour la pensée et l’intelligence. Le manichéisme structure nos débats. Les passions sont exacerbées. Il y a deux camps: « Dans lequel êtes-vous? » Épidémie, confinement, mesures sanitaires, école ou pas, gyms ouverts ou pas, Halloween, le vaccin, Trump au passage, il devient de plus en plus dur de réfléchir pour nuancer. Rationaliser devient suspect. 

 

2021 ne s’annonce guère mieux, même si on espère tous le contraire.  


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.